Akemi était si innocente. Lorsqu'elle demanda, timidement à Ryme s'il était possible que son Gardien puisse avoir quelconque sentiment romantique à son égard, ce constat la frappa. Elle ne devait pas avoir vingt ans et pourtant, elle arrivait à combiner cette jeunesse avec beaucoup de force. La rouquine se demanda, si, elle aurait été capable d'affronter la vie qu'avait eut sa comparse. Le poids de la maladie, de l'isolement et surtout de défier le destin avec pour unique compagnon, un ami de toujours. Son destin l'avait poussé sur un chemin d'or et de sang. Son sang. Mais, elle ne pouvait faire autrement que d'avoir du respect pour ce petit brin de femme qu'elle serrait vigoureusement contre elle.
« Je ne te connais pas énormément et pourtant, je t'aime déjà. Comment quelqu'un qui te connaît depuis des années pourrait décemment te résister ? » plaisanta-t-elle doucement en lui embrassant le front. Akemi avait le don de réveiller son instinct maternel. Ou peut-être son instinct fraternel.
« Tu ne perds rien à lui exprimer ce que tu as dans le cœur. S'il partage tes sentiments – ce que je pense, vous aurez un peu de bonheur pour le temps qu'il te reste. S'il ne les partage pas... Eh bien, je pense que cela sera douloureux, mais, au moins tu pourras passer à autre chose. Garder des choses pour soi, ce n'est pas bon, surtout dans une relation de confiance. »
Intérieurement, Ryme ne pouvait s'empêcher de se maudire pour ce genre de conseil qu'elle n'appliquait pas. Sa façon de vivre parmi les Voix avait totalement vicié sa sincérité. La cachotterie était une composante même de sa personnalité. Si, elle arrivait à se livrer ainsi, c'est parce qu'elle avait l'étrange sentiment qu'elle ne croiserait peut-être plus Akemi. Ou que cette dernière avait besoin d'entendre quelqu'un pour mieux se purger de ses émotions. Elles étaient toutes les deux Invokeures et savaient un peu trop bien, ce que cela signifiait. Leur temps, leur vie, ne leur appartenaient plus vraiment.
« Une épaule, aussi frêle soit-elle, est toujours des plus agréables. Et puis... Tu n'es pas que ça. Je vois en toi, un peu de lumière. Douce et réchauffante. Si tu lui ouvres ton cœur et tes pensées, que tu lui donnes ton soutien et ton amour, je pense qu'il sera capable de soulever des montagnes. » déclara-t-elle en esquissant un sourire confiant.
« Je n'ai pas connu mes parents et à vrai dire, cette situation est de leur propre fait. Mais j'ai connu des gens qui pleuraient encore la perte d'un être cher, bien des années après que cette personne soit partie. On peut... Guérir de bien des blessures, mais celles que l'on a, au cœur, elles ne partent jamais totalement. Avoir quelqu'un qui compte pour porter une main bienveillante sur la plaie, est sans doute le meilleur des pansements. »
Son regard s'était légèrement teinté de tristesse. Si Vilhatt mourrait, serait-elle triste ? Il l'avait meurtrie, dans sa chair, dans sa psyché, avait conduit Cillian dans la Via Purifico par égoïsme. Mais, il avait été sa figure paternelle. Elle le haïssait, du plus profond de son être. Mais sa mort ne la laisserait pas indifférente. Même si, aujourd'hui ses sentiments à l'égard de son ancien Gardien étaient mitigés, même s'il semblait avoir continué sa vie sans elle... S'il venait à disparaître, ce monde n'aurait plus aucun sens.
« Nous aurons de quoi parler lui et moi et son réveil. C'est tout ce qui importe. Nous verrons bien. Je... A vrai dire, je me moque du fait qu'il puisse avoir des sentiments pour moi. S'il est en paix, s'il est passé à autre chose, je comprendrais. Moi non plus, je ne voudrais certainement pas côtoyer la personne qui m'a condamné à la Via Purifico... Je veux juste... Garder les sentiments que j'éprouve, encore un peu. Pour m'en servir comme moteur ; pour avancer dans cette vie si lui, ne ressent pas la même chose. » C'est tout ce qu'il me reste, pensa-t-elle amèrement. Akemi ne pourrait peut-être pas comprendre, de son jeune âge. L'amour qu'elle avait porté à Cillain, l'avait conduite sur bien des chemins, qu'elle ne regrettait pas. Et la Via, malgré tout, les avaient liés à jamais. D'une sinistre manière, il était vrai. Mais... Elle avait peur. Qu'adviendrait-il d'eux, si jamais Vilhatt apprenait qu'ils s'étaient enfin retrouvés ? Bien que Ryme n'était pas croyante, la sentence 'hérétique' lui pesait dans le cœur comme une épée de Damoclès.
« Esra a toujours été un petit frère un peu pleurnichard. Il s'en remettra, néanmoins, je ne peux pas me permettre de l'attendre. Cillian n'est pas mon Gardien, mais je compte informer la personne qui me protège de la suite de mon voyage. Quand bien même, je pense pouvoir me débrouiller seule, il est plus agréable d'avoir quelqu'un. »
Un sourire en coin perla sur son visage. Et puis, Gordias lui manquait un peu. Son côté bourru et réfléchis complétait si bien ses attitudes impulsives. Mais... Pour l'instant, Ryme avait envie d'être égoïste et profiter du peu de temps qu'elle disposait avec Cillian.
Lorsqu'Akemi déclara qu'elle avait été alitée pendant quelques jours après avoir reçu la bénédiction de Valefor, Ryme ne put s'empêcher de sentir une petite vague froide dans son estomac. Ixion l'avait fatiguée, recevoir la chimère avait été une épreuve à la fois intense et dense pour son corps. Alors... Si la chimère réputée pour étant la plus faible du parcours avait été aussi dévastatrice pour son amie... Sa gorge se serra. Elle commençait à comprendre pourquoi Seiji avait toujours cherché à l'empêcher d'accomplir ce destin.
« C'est un sage décision. Ixion était... Fatiguant, mais c'est un Priant qui apprécie les efforts. Il n'est pas très sensible comme priant, et aime l'intellect... » commença-t-elle presque nostalgique.
« D'ordinaire, les Invokeurs éprouvent leurs pouvoirs pour devenir plus fort... Je t'aurais volonté proposé un duel de chimère, mais... Je ne pense pas que cela soit la méthode pour que tu renforces tes pouvoirs, sans que ton énergie vitale en pâtisse... » la voix de Ryme était légèrement incertaine. Elle avait envie de l'aider, mais comment faire ?
« Je pensais rester quelque temps sur Besaid. Les gens des îles m'intriguent particulièrement, je n'ai jamais quitté le continent... Sauf une fois, mais... C'est un bon souvenir, qui commence a remonter un peu ! » Sa mémoire lui renvoya l'odeur de l'essence et le bruit du moteur vrombissant de la moto de Danil, lorsqu'il l'avait secourue sur Bikanel, l'île des Al-Bheds.
Un petit silence s'installa entre les deux jeunes femmes. Puis, Akemi prit la parole. La question qu'elle posa troubla Ryme qui écarquilla les yeux alors que son cœur venait de manquer un battement. Tout arrêter pour Cillian, oui, elle en était capable. À vrai dire, s'il l'aimait encore... s'il était prêt à la pardonner et à vivre avec elle, Ryme abandonnerait tout s'il le lui demandait. Mais... Cet abandon avait un prix, celui d'une fuite perpétuelle. Abandonner son pèlerinage la reconduirait dans les griffes des Voix de Yevon, un écueil qu'elle ne souhaitait plus jamais connaître. Sans compter que l'organisation continuerait de détruire la vie de nombreux enfants sur l'autel de la religion.
Le visage de l'Invokeure flamboyante se ferma un peu. Elle poussa un soupir.
« Si j'étais... Une simple femme, je sauterais sur cette occasion. J'arrêterais tout pour vivre avec lui et avoir la vie la plus heureuse possible. Mais, arrêter mon voyage signifie retourner auprès des Voix. Et si je ne réintègre pas l'organisation, la sentence pour nous deux... Nous serions déclarés hérétique. Nous n'aurions de cesse de fuir. Et c'est ce que j'ai fait toute ma vie. Je ne veux plus m'échapper. Je veux affronter la vie en face. » Elle marqua une pause. Distraitement, elle avait porté sa main sur son cœur. Il lui était facile de dire tout cela alors qu'elle ne lui avait pas encore parlé... Mais elle savait très bien qu'il suffirait d'un regard, d'un geste, pour que sa volonté se retrouve au sol, écrasé sous le poids de l'amour qu'elle lui portait.
« Je n'ai pas envie de le perdre. Mais le destin a voulu que je devienne Invokeure. Plus que pour vaincre Sin, je dois... Combattre pour que cesse d'exister les Voix. Bien trop d'enfants ont souffert entre leurs mains. »
Elle essaya de chasser les mauvais souvenirs qui lui venaient. Son cœur était lourd. Lourd de choix, de décisions. Même si ayant gagner sa liberté, elle était emprisonnée. Pour qu'enfin, elle soit libre, vraiment libre, il faudrait qu'elle donne sa vie pour Spira. La jeune femme essaya d'esquisser un sourire rassurant. Mais, elle avait perdu le goût de la conversation.