Ryme
Invokeure
Ryme avait d'autant plus de mal à considérer la chose car, malgré les blessures actuelles et passées, Cillian avait beaucoup de charme en plus de posséder une beauté sauvage, brute presque animale. Elle en était certaine : le Cil' du passé avait dû avoir son succès auprès des femmes et pourtant, il n'y avait jamais répondu à ces appels, à ces facilités. N'importe quel autre homme, bien que dénué de sentiments aurait profité de la situation. Et quelque part, elle était fière qu'il eut ce comportement, que par son caractère, il ait la force de combattre les avis des autres, mais aussi de faire d'elle quelqu'un d'unique. Elle était le grain de sable dans le rouage, celle qui lui avait montré que toutes les femelles de l'univers n'étaient pas de perfides créatures... Et ce rôle lui plaisait.
“Tu sais, je n'étais pas très féminine lorsque j'étais enfant.” répondit-elle d'une voix amusée lorsqu'il posa ses lèvres sur sa joue.
“A vrai dire, avant de rejoindre les Voix, je ressemblais plus à un petit singe roux hirsute qu'à un être humain.” le complément de réponse ne trouva pas de réponse, ou alors s'il y'en eut une, elle ne l'entendit pas.
Un sourire triste se dessina sur ses lèvres : il avait le nez caché dans son cou. Il faisait toujours ça, lorsque des choses négatives, de mauvaises pensées ou les incertitudes venaient frapper à la porte de son esprit. Il fallait juste attendre que l'orage passe. Silencieuse, elle leva les yeux vers le ciel : la canopée morcelait le ciel bleu comme si elle le grignotait. Les plantes-cloches sonnèrent encore, animant la clairière de leur mélopée si particulière. Ryme se demanda alors si, un jour, elle pourrait à nouveau produire un son aussi clair. Sa voix n'était plus que le vestige triste de ce qu'elle avait été, produisant des bruits rauques, fragiles et indisciplinés. Certes, c'était bien suffisant pour parler et se faire comprendre mais... Il lui manquait malheureusement l'essentiel. Privé Ryme de chanter était presque pire que l'empêcher de respirer.
Puis, la voix de Cillian brisa le silence et ses réflexions. Il partageait son sentiment : tant qu'ils seraient là, l'un pour l'autre et l'un avec l'autre, tout irait bien. Une sensation de bien-être, de soulagement se faufila à l'intérieur de son cœur, l'alourdissant un peu. Comme la lune au milieu de la nuit, cette déclaration repoussait les ténèbres des doutes et de la solitude. Cependant, le romantisme fut de courte durée puisqu'il ramena la conversation vers des choses bien plus pragmatique. Il se demandait – à juste titre, l'heure et le temps qu'ils avaient mit pour parcourir ce chemin. Malheureusement, Ryme n'avait pas de montre ou de sortilège pour connaître la temporalité précise.
Cependant, cela ne semblait pas dérangeant : peut-être était-ce une question dans le vent, juste pour ancrer les choses dans la réalité ? Il proposa alors deux solutions, repartir pour profiter pleinement de la cascade semblait être une idée plus que tentante. Le paysage devait y être sublime, l'eau limpide et ils pourraient disposé d'une certaine intimité pour peut-être continuer les cours de natation avortés de Kilika. Ou tout simplement pour faire une sieste sur les rochers chauffés par le soleil.
Néanmoins, Cillian semblait avoir d'autres plans. Doucement, lentement, il guida leurs deux corps jusqu'au pied du grand saule. Les branches larmoyantes les entouraient, comme pour préserver leurs plus dangereux secrets. Ainsi nichée contre lui, Ryme ne trouva pas la force de faire une contre-proposition à son plan, surtout s'il avait besoin de se reposer comme il l'affirmait. Mais, elle soupçonnait fortement qu'il voulait s'arrêter pour elle. L'Invokeure ne l'avouerait pas, mais sa jambe était déjà douloureuse et s'aventurer jusqu'à la cascade serait sans doute une épreuve irraisonnée.
Après un léger silence, il évoqua la longue période où, leur temps à deux avait été grandement amputé. Il avait raison, avec tout ce qui s'était passé récemment, le séjour sur l'île de Besaid ferait presque passé leur temps à l'hôpital pour une promenade de santé. Un sourire vint sur le visage de Ryme : c'était probablement une, si ce n'était la période la plus heureuse de son existence. En fermant les yeux, elle pouvait encore sentir les embruns de la mer de Bevelle, l'odeur des pins et des draps de coton un peu trop rêche de leur chambre. Mais elle était la seule à pleinement s'en souvenir. Les rires, les larmes, les instants volés et autres petites pépites n'existaient plus que dans sa mémoire à elle. Sa gorge se noua légèrement tandis que lui-même resserrait ses bras autour d'elle. Avait-il senti les ombres prendre en tenaille son cœur ?
Puis il y eut ces mots, si uniques, si merveilleux et rassurant. Ces mots qui avaient le don d'effacer tous les chagrins, les doutes et les peurs. Son cœur explosa et lorsqu'il se calma, Ryme ferma les yeux tout en poussant un soupir d'aise. Elle ne répondit pas tout de suite, tournant le visage, nichant l'arête de son nez contre ce qui devait être le creux de la mâchoire de Cillian, ou peut-être sa joue. Comme le ferait un chaton coeurl cajoleur, elle frotta sa frimousse à la sienne. Mais ce n'était pas assez, trop superficiel comparé à la tempête qui l'habitait.
Avec la maladresse qui la caractérisait, Ryme arriva à réduire l'emprise des mains de Cillian sur son corps. Elle manqua très certainement de lui donner un mauvais coup quelque part, de l'éborgner – encore un peu plus, par mégarde, mais elle parvint à lui faire face. Elle plongea son regard dans le sien, pétillant de l'étincelle de leur histoire. Leurs silhouettes ainsi entremêlées offraient une stabilité ainsi qu'un confort relatif. Légèrement rehaussée par l'appui qu'elle avait sur ses jambes, elle le contempla toujours silencieuse. D'un geste presque hésitant, elle guida les paumes de Cillian vers ses cuisses, lui faisant découvrir le contraste entre le tissu de sa jupe, la moiteur de sa peau et la rugosité du cuir qu'elle portait. Un soupir brusque quitta ses lèvres, le brasier qui gisait au creux de ses reins et de son cœur se retrouvait avivé par la situation. Peut-être était-ce trop ? Trop tôt ?
Ryme laissa glisser à son tour ses mains sur lui, découvrant encore sans aucune lassitude la courbe volontaire de son menton, le creux cruel que la Via avait laissé au milieu de ses clavicules et la douceur de sa peau zébré de cicatrices.
“Moi aussi, je t'aime. Tu m'as manqué.” murmura-t-elle dans un souffle et d'une voix rugueuse.
“Est-ce que je peux t'embrasser ? Même si je suis une sale fille ?”
Elle connaissait déjà la réponse, alors, elle se pencha vers lui mais ne prit pas tout de suite ce qu'elle voulait dérobé. Ryme fit semblant d'hésiter un peu, se mordant la lèvre, jouant avec leurs souffles courts et mélangés. Le reste du monde semblait s'estomper, ne plus exister. Il n'y avait plus que lui, que sa chaleur, sa peau, son odeur et celle de l'écorce du tronc contre lequel ils se reposaient.
Puis, l'Invokeure céda à ses envies. Elle joignit leurs lèvres dans un ballet de tendresse et d'affection, un acte délicat mais dévorant qu'ils connaissaient si bien et pourtant si peu. Ryme se retrouva à court de souffle plusieurs fois, mais retrouva toujours de quoi gonfler ses poumons pour s'abandonner toujours un peu plus à l'ivresse qu'il faisait naître au creux de son être.