Le ciel orangé enflammait les plaines neiges des environs de Macalania. Après tout ce temps dans la grotte, protégé des aléas du climat, Ryme ne put s’empêcher de greloter au moment où le vent se mit à souffler, emportant dans son soupir de lourds flocons. Ses dents claquèrent avec force et elle regretta presque de ne plus être retenue prisonnière par les Al-Bheds. Elle enroula sa capeline autour de ses épaules, fronçant les sourcils lorsque Gordias lui posa une question très pertinente.

— Je ne sais pas, Gordias. Cillian ne me parle que très peu de la Via, de ce qu’il s’y est passé. Peut-être que les liens qu’il a créés à l’intérieur de cette réclusion lui importent beaucoup. J’ai le sentiment que leur cheffe tablait là-dessus, en tout cas.

Un pas après l’autre, elle avançait malgré sa jambe douloureuse. La morsure du froid sur la vieille plaie ne facilitait pas les déplacements de l’Invokeure qui pendant un bref instant s’arrêta pour reprendre son souffle. Ryme n’avait aucune idée d’où ils pouvaient bien se trouver et cela l’angoissait. Dans la région de Macalania, la nuit était une épreuve rude à laquelle, elle n’était pas vraiment prête. Il fallait avouer qu’entre ses sens anesthésiés par le gel, l’anxiété retombante et ces engagements, l’Ancienne Voix commençait à atteindre ses limites physiques et mentales.

— Les Al-Bheds sont des gens de promesses. Une parole est sacrée pour eux. Je pense qu’elle a très bien compris que j’étais au fait de cela. Ne pas leur venir en aide alors que nous avons accepté, c’est risqué les foudres de tout un peuple. Ils ne sont, certes, que très peu aimés sur le continent, mais je sais que certains n’hésitent pas à quitter leur sanctuaire pour poursuivre certaines velléités vindicatives. Je ne sais pas pour vous, mais je n’ai guère envie de devoir surveiller mes arrières pour le restant de ma vie.

Danil avait été très clair là-dessus, s’engager était important. La loyauté était le ciment de la culture de ce peuple du désert de Bikanel. Sans cela, leur ethnie ne pourrait survivre dans ce monde qui les méprisait tant. Oh, bien sûr, faire confiance aux étrangers n’était pas facile, mais pour quiconque connaissait les us et coutumes pouvait pactiser, à ses risques et périls – bien entendu.

— Reculez, je vais invoquer une chimère pour que nous puissions retourner à l’auberge au plus vite. Il est rare maintenant qu’une communion avec un Priant me prenne autant de temps, Garan l’aura sans doute avoué à Cillian et je n’ai pas très envie de les retrouver tous les deux, dans la neige, armes au clair à interroger tout le monde.

Après avoir obtenu Valefor, les pouvoirs de Ryme avaient décuplé et il en fut de même lorsqu’Ifrit acceptât de se mêler à elle. Les épreuves pour entrer dans les chambres prenaient parfois davantage de temps que la conversation à laquelle elle s’adonnait avec les Priants. Shiva l’ayant déjà vu une fois, il été très improbable qu’ils ne soient pas rentrés.

L’Invokeure attendit que son Gardien recul puis le ciel si clair s’assombrit soudainement. La foudre frappa la neige et de cette fracture naquit Ixion. Ryme caressa l’encolure du cheval et échangea quelques mots doux avec lui. La Chimère plia ses longues pattes, permettant à sa maîtresse de grimper sur son dos. Ses naseaux frémir lorsque Gordias l’enjamba. La créature se redressa de toute sa stature tandis que Ryme déposait ses mains sur le licol métallique.

— Allons-y, ne perdons pas de temps. Accrochez-vous, Ixion est farceur, parfois.


Les étoiles brillaient dans le ciel nocturne lorsqu’ils arrivèrent à l’auberge, les cils et les cheveux recouverts de glace. Ils passèrent la porte et aussitôt, l’hôtelier afficha une mine soulagée indiquant que la fureur de Cillian devait lui avoir valu une ou deux remarques cinglantes. Sans le moindre commentaire, Ryme se dirigea vers la chambre qu’ils louaient, espérant y trouver les deux frères. Lorsqu’elle franchit l’entrée, personne n’attendait là.

— Par Yevon, ne me dites pas qu’ils sont dehors sans leurs armes ? déclara-t-elle en fronçant les sourcils, lorsqu’elle constata que la rame de Cillian patientait inlassablement dans un coin de la pièce et que la targe de Garan sommeillait au pied du lit qu’il s’était choisi.

Le vieux Gardien se dévoue pour aller se renseigner auprès de l’aubergiste. Ryme lui adressa une expression reconnaissante, sachant combien le voyage avait été difficile pour eux deux. La prochaine fois que pareille mission les attendra, peut-être devrait-elle demander à Garan de venir avec elle pour laisser la chance à Gordias de se reposer. Il n’était pourtant pas très âgé mais l’ancien moine semblait porter le poids du monde sur ces épaules, un fardeau infini qui l’attirerait probablement dans la tombe. Alors, malgré les recommandations faites, l’Invokeure ne se reposa pas. Elle aviva un peu le feu de cheminée de la chambre et commanda via message que l’on fasse préparer les thermes de l’établissement afin que le groupe puisse se délassé. Tous en aurait bien besoin.
Quelques minutes plus tard, un grattement à la porte attira son attention et lorsqu’elle ouvrit elle découvra son protecteur les bras bien lourdement chargés. Ryme le délesta d’une partie de la charge du plateau en prenant la carafe d’eau dans ses mains. Ils s’installèrent tous deux pour dîner. De généreux morceaux de légumes flottaient dans la soupe, carotte, pomme de terre et navet avec également, quelques tronçons de poireaux grillés. Deux larges tartines de pain beurrés surplombées de jambon sec accompagnait le tout.

Ryme l’écouta, songeuse, tout en mangeant. La chaleur de la soupe lui apporta du réconfort et dénoua les nœuds que le stress avait placé dans ses épaules. Elle jeta un regard inquiet à son compagnon qui semblait particulièrement las. Après quelques suppositions sur l’endroit où Garan et Cillian pouvaient bien se trouver, il conclut ne pas vouloir aller les chercher mais que ce moment était propice aux réflexions. L’Invokeure repoussa légèrement son assiette, presque déconcertée par les paroles de son vieil ami.

— Vous savez, je crois que le mieux pour tout cela n’est pas d’essayer de le convaincre mais de lui exposer la situation. Il m’apparaît évident aujourd’hui que j’ai, que nous avons trop eu tendance à le prendre au pied de la lettre, répondit-elle, la mine sombre.

Elle repoussa ses couverts et rangea son bol avant d’offrir le jambon fumé à Gordias puis de mordre dans la tartine de pain. Le gras glissa contre les commissures de ses lèvres, les rendant luisantes.

— Depuis que nous nous connaissons, Cillian n’a jamais eu de cesse de me dire de l’utiliser. De le voir comme une arme. Comme… Un outil. Involontairement, j’ai agis ainsi et cela a conduits à des situations blessantes pour nous deux. Je ne veux plus essayer de le convaincre de faire quoi que ce soit. Il est assez réfléchi pour savoir ce qu’il veut faire ou ce qu’il ne veut pas faire. J’ai confiance en lui.

Ryme attrapa la carafe et se servi un verre d’eau après avoir rempli également le verre de Gordias. Malgré le masque impassible qui maculait ses traits, l’Invokeure réfléchissait à toutes les possibilités que ce marché avec les Al-Bheds offrait. Elle poussa un soupir en s’adossant un peu plus confortablement contre sa chaise, le regard un peu perdu dans le vague.

— Cependant, cela pourrait nous donner l’avantage de les aider. Dans la panique, nous pourrions entrer en toute discrétion à Bevelle, nous rendre au temple sans que personne ne nous remarque et acquérir Bahamut avant de nous enfuir par les air grâce à lui. Nous pourrions également attaquer par la Via. Après tout, comme tout ce qui est ou gît sous la capitale, n’est qu’une partie d’un grand tout. La Via Purifico doit mener au coeur de la cité. Nous pourrions nous infiltrer par là.

Un frisson la traversa lorsqu’elle songea à cette prison, ce chemin de l’expiation. Une partie d’elle mourrait d’envie de s’y rendre pour comprendre. Pour être celle qui pourrait enfin tout accepter de Cillian. Cependant, une autre lui criait de ne pas y mettre les pieds que ce qui les attendait là-bas ne pourrait aucunement l’aider dans cette quête. Ryme poussa un soupir discret. Tout se mélangeait dans son esprit, tant d’hypothèse et de façon de faire. Le fantôme de Vilhatt vint à son tour, sa voix grinçante de promesses sordides. « Je te guérirais de lui » ; «  Je te sauverais de cet impie » répétait-il lorsqu’il l’avait enfermée dans ses quartiers pendant de longs mois jusqu’à ce qu’elle cède.

— J’ai demandé aux employés de nous préparer les bains, j’ai pensé que cela nous ferait du bien à tous. Le voyage semble de plus en plus vous peser, mon vieil ami. Devriez-nous aller moins vite ? Je ne voudrais pas qu’il vous arrive malheur. Et ne mettez pas cela sous le compte de votre âge, vous et moi savons bien que vous n’êtes pas aussi âgé que vous aimez le dire, présenta-t-elle en déposant sa main sur le poignet de Gordias.

— Votre rôle est peut-être de me protéger mais vous devez également prendre soin de vous. Surtout en vue de ce qui nous attend.