Soren soupira. Il avait toujours détesté le sujet de ces fiançailles. En quittant Bevelle, il s’était imaginé que ses vieux fantômes resteraient prisonniers de la capitale Yevonite. Il se rendait désormais compte à quel point il avait été naïf. Il retira machinalement la main de sa poche, et pressa sa paume contre sa nuque. Ces muscles ses détendirent légèrement, juste assez pour que son attention se porte vers la réponse de Kiera. Il ne releva pas la mauvaise foi légendaire de la jeune femme concernant son langage excessivement fleuri, conscient qu’il s’agissait là d’un combat perdu d’avance. En revanche, il répondit du tac-au-tac quand elle lui signifia qu’elle ne souhaitait pas prendre le rôle de la briseuse de couple. « Ravi de voir que tu t’inquiètes de ma vie amoureuse. » il lui lança un regard en coin, une pointe d’arrogance au fond des yeux.

Quelques secondes s’écoulèrent, durant lesquelles Soren se détendit légèrement. Il soupira, conscient que son attitude puérile visait uniquement à détourner la conversation de son véritable sujet. Toutefois, il savait également que tôt ou tard, ils croiseraient de nouveau Alissa. Soren pinça machinalement l’arrête de son nez, et offrit une courte explication à Kiera. Quand il lui demanda finalement si elle avait des questions, Kiera lui répliqua qu’elle attendrait qu’il soit au clair avec lui-même avant de creuser le sujet. Touché. Un sourire cinglant passa sur les lèvres du jeune homme, qui haussa les épaules d’un air faussement détaché. La conversation se termina sur cette note amère. Ou tout du moins, c’était ce que Soren s’était imaginé. Kiera s’arrêta et se tourna dans sa direction, et le remercia pour sa franchise. Et avant que le jeune homme ne réagisse, elle enchaîna en précisant qu’il ne ressemblait absolument pas à un homme qui avait déjà été fiancé. Satisfaite de son méfait, Kiera lui adressa un sourire avant de reprendre la route. Un petit sourire se dessina sur les lèvres de Soren, qui la regarda en secouant légèrement la tête. Sérieusement… Il inspira profondément, et jeta un regard sur l’océan sombre qui somnolait au pied des falaises des Mycorocs. Ils s’étaient éloignés de la plage, et pourtant, il ne réalisait que maintenant à quel point les embruns marins étaient vivifiants. Un sourire teinté d’une douce ironie passa sur ses lèvres. « C’est sûrement les falaises... »

Ils marchèrent plusieurs heures, longeant la route conduisant vers Luca. Si le début de journée avait été marqué par ses courbatures et hématomes, le corps de Soren s’était finalement accoutumé à ces sensations. Une courte halte marqua le milieu de la journée, suite à quoi ils reprirent la route. Il était dix-sept heure passée, quand l’accès à la route de Mi’hien se profila enfin à l’horizon. Soren esquissa un sourire, mais son soulagement ne fut que de courte durée. Un petit groupe de personnes se tenait à l’entrée de la route, visiblement agité. Quelques éclats de voix, tantôt inquiets, tantôt colériques, s’élevaient jusqu’à eux. « Dommage. Pour une fois, j’ai cru qu’on arriverait à faire un voyage normalement. » il lança un sourire à Kiera. Puis, réajustant son sac, Soren se dirigea vers le groupe.

Ils étaient quatre. Un homme fixait de façon maladive l’accès à la route de Mi’hien, ignorant les trois autres qui se disputaient derrière. Une femme et deux hommes, qui se rejetaient l’un après l’autre la responsabilité d’un incident. « Excusez-moi. » les trois furies se tournèrent vers Soren. La femme répliqua du tac-au-tac. « La route est bloquée. Vous allez devoir attendre. » les paupières de Soren se plissèrent de façon à peine perceptible. De là où elle était, Kiera pouvait facilement deviner l’ombre d’un sourire qui étirait le coin de ses lèvres. « Je n’ai malheureusement pas de temps à perdre. Je suis actuellement en pèlerinage. Puis-je savoir pour quelle raison justifie de nous retarder ? » la femme se décomposa, et lança un regard à l’un des hommes près d’elle. Celui-ci grogna et croisa les bras. « Excusez-la, elle est sur les nerfs… Plusieurs chocobos se sont enfuis tout à l’heure. Ils ont croisé un groupe de voyageurs, et ils ont paniqués… du coup, les chocobos sont intenables. On a passé une bonne heure à faire évacuer la route, et maintenant, on essaie d’attraper nos bestioles. » Soren hocha la tête, et regarda tour à tour les membres du petit groupe. Leurs tenues correspondaient à leur histoire, au même titre que la mine déconfite des différents compères. « Si vous voulez, vous pouvez toujours passer par l’ancienne route. Mais de vous à moi… elle est moins sûre, plus longue, et plutôt escarpée. On devrait plus en avoir pour très longtemps. Si vous voulez attendre avec nous, on vous fera une place. » Soren se tourna vers Kiera, un air interrogatif. Elle aurait peut-être une préférence, ou une idée sur la question. Après tout, elle connaissait mieux que lui cette région du monde.

Il avait été naïf de croire que la traversée de Mi’hien se ferait simplement et sans accroc. Un sourire résigné passa sur les lèvres de Soren, qui fit le point sur la situation. Soit ils attendaient sagement que la petite troupe mette la main sur l’ensemble de leurs bêtes. Soit ils prennaient un autre chemin, et progressait à travers la vieille route qui ralliait Luca. Mais à l’instant où l’homme fit mention de cette route, la voix douce et délicate de Kiera éclata en une floppée de protestation formulée en Al-Bhed. Il était hors de question qu’elle prenne ce chemin. Soren claqua machinalement sa langue contre son palais. Évidemment… Il la dévisagea quelques instants puis soupira, préférant capituler. Cela leur faisait donc une option en moins… ce qui réduisait drastiquement le champ des possibles.

Kiera soupira, puis déclara à Soren de faire comme il l’entendait. Un sourire cynique passa sur les lèvres de Soren. Considérant que Kiera avait catégoriquement refusé la seconde option, il ne leur restait plus beaucoup d’options. Soren la fixa quelques instants, puis se tourna vers le petit groupe. Seul l’homme qui leur avait expliqué la situation leur prêtait encore attention, les deux autres fixant de nouveau la route, guettant l’arrivée impromptue de l’un des Chocobos en cavale. « On va vous aider. »


Ils avaient passé un temps infini à chercher ces maudits Chocobos.
Les dernières lueurs du crépuscule s’étendaient au dessus de l’horizon, éclairant la mine déconfite du jeune homme. Il était épuisé, affamé et assoifé. Plusieurs plumes parsemaient encore ses vêtements, et l’odeur de Chocobo sur sa peau était la même que s’il avait vécu une année entière enfermé dans une écurie. Il articulait à peine un mot, complètement lessivé. « La prochaine fois, on prend la vieille route. » il lança un regard à Kiera, puis soupira. Seules deux choses le préoccupaient encore : se débarasser de cette odeur qui l’insupportait, et dormir jusqu’au petit matin.

En remerciement pour leur aide, le petit groupe avait proposé à Kiera et Soren de passer la nuit chez eux, dans l’auberge des Chocobos. Sur le chemin, ils avaient eu droit à un petit historique des lieux, que Soren avait écouté d’une oreille distraite. Considérant l’état dans lequel il se trouvait, seules deux choses l’intéressaient encore un tant soit peu : se débarasser de cette odeur qui l’écoeurait de plus en plus, et dormir jusqu’au petit matin. « La prochaine fois, on prend la vieille route... » il réédita, sans réaliser qu'il avait déjà prononcé cette phrase.

Quand ils posèrent enfin leurs affaires, Soren inspira profondément. Il s’étira, résista à une furieuse envie de s’écrouler de fatigue, et lança un regard à Kiera. Encore une fois, ils partageaient une chambre. À force, partager son quotidien avec la jeune femme était presque devenu une habitude. « Je te laisse la salle de bain. Ils ont parlé de douches communes, ça nous évitera d’attendre. » Soren attrapa négligement son sac, lança un signe de la main à Kiera, et s’éclipsa sans demander son reste. La simple idée de l’eau chaude et du savon délaissait déjà son corps. Il pressa légèrement le pas.

Il lui fallut quelques secondes pour comprendre la raison pour laquelle Kiera s’emportait contre lui. Soren écoutait à peine ses propres paroles, trop fatigué pour se préoccuper de ces propres faits et gestes. Il songea d’abord à s’expliquer, mais renonça une fraction de seconde plus tard. Il n’avait ni la force d’affronter la colère de Kiera, et encore moins de formuler une explication logique.

Soren ne s’attarda pas sur leurs quartiers pour la nuit, et s’eclipsa aussitôt au profit d’une bonne douche. Kiera commenta, mais il l’écouta à peine. Quand il referma la porte, Soren se souvint de la petite remarque acerbe de Kiera ; celle-là même qui lui repprochait son choix, après lui avoir demandé de choisir. Sur le moment, il s’était contenté de lui répondre une vague approbation – en partie pour la fair enrager – en se convaincant que c’était la moindre des choses.
S’il avait su, il l’aurait peut-être écoutée.

Ses doigts se refermèrent sur le mécanisme de douche, et l’eau ruissela sur son corps. Sa peau frissonna, et Soren accueillit la pluie glacée en serrant les dents. Puis, au prix d’interminables secondes, l’eau se réchauffa enfin. La bruine glacée laissa place à une agréable chaleur, qui répandait un fin drap de vapeur au-dessus du sol. Il inspira profondément, et afficha enfin un sourire. Le premier depuis le début de cette escapade idiote. Il avait l’impression d’avoir passé des jours à sillonner la plaine, rappatriant les Chocobos comme un garçon de ferme au matin de son premier jour. Il soupira. Quelle idée idiote. Soren frotta machinalement ses cheveux, chassant les souvenirs de la journée de sa tignasse blonde. En frottant son visage, il réalisa l’ombre de la barbe qui se dessinait sur ses joues. Il expira, réalisant que cette halte dans l’auberge serait la bienvenue. Puis, attrapant une savonette, il se lava méticuleusement. Sa peau était toujours parsemée de quelques hématomes – celui sur ses côtes était encore douloureux – et les douleurs issue de l’entraînement, de la marche et de ses débuts en tant que garçon d’écurie s’accordèrent en une indélicate harmonie. Il frictionna son corps avec attention, autant pour soulager ses muscles que pour se défaire de l’insupportable odeur qui l’enveloppait. Seul le bruit de l’eau couvrait le silence, que Soren salua avec gratitude.

Puis, la porte s’ouvrit.

Il bondit sur place, masquant machinalement les points stratégiques de son corps. Il se trouva nez-à-nez avec Kiera, guère plus habillée que lui. Elle resta imperturbable, comme s’il était parfaitement normal qu’elle se trouve ici. Il la regarda sans comprendre. En guise de réponse, la jeune femme le sermonna et se faufila dans la douche. Soren resta planté là, alors que la porte se refermait devant lui.

Il était mal à l’aise.
C’était idiot – la remarque de Kiera l’avait bien souligné – mais il était mal à l’aise. Il avait fini par reprendre ses esprits, et s’était tourné vers la jeune femme. Un réflexe qui n’avait pas arrangé les choses. Après l’avoir regardé quelques secondes de trop, Soren avait fini par détourner le regard, marmonant une protestation incompréhensible. Pendant ce temps, Kiera se contenta de se laver. Il devina son soulagement au contact de l’eau chaude, et se résigna. Il glissa sous l’eau, terminant de se savonner. Ses gestes étaient maladroits, et il réalisa que tout son corps était crispé. Il expira. Puis inspira. Et expira de nouveau, avant de chasser cette situation de son esprit. Il nettoyait méticuleusement ses mains, quand la voix de Kiera s’éleva dans son dos. Évidemment, tu as décidé de me faciliter la tâche… il soupira discrètement, puis haussa machinalement les épaules. « On a toujours de l’avance sur Llyod. Il est probable qu’il fasse un rapport de la situation à Bevelle. Et même si ce n’était pas le cas, il se sera au moins replié jusqu’à la rive du Sélénos le temps de récupérer. » mais combien de temps lui faudrait-il pour récupérer? Soren poursuivit, tout en savonnant ses ongles sales. « Et si tu parles de Luca… Je ne pense pas que ça changera grand-chose. » oubliant brièvement où ils se trouvaient, il jeta un regard à Kiera. Son regard tomba sur sa silhouette, et Soren se détourna aussitôt. Ses joues rougirent légèrement, et il se détesta pour cette candeur miévreuse.

Ce n’était pas vraiment la situation. Il s’agissait plutôt de la façon dont Kiera s’invitait dans sa vie, sans accord ni préavis, et le privait de contrôle sur le cours des événements. La voix de Kiera le coupa dans sa réflexion. Soren grimaça en l’entendant, son visage se tournant machinalement dans sa derrière. Il voulu se tourner puis qu’elle ne puisse pas le regarder de dos, mais réalisa aussitôt que ce n’était pas une bonne idée. Il se crispa, pris de cours, et passa machinalement son bras en travers dudit fessier. Son visage avait viré éclarte : non pas en raison de la gêne née du fait qu’elle regarde ses fesses, mais plutôt en raison de sa réaction, et de la posture ridicule dans laquelle il se trouvait. Une demie-seconde s’écoula, et il retira son bras au prix d’un effort surhumain. Son égo l’avait emporté sur sa pudeur, et il refusait de rester dans cette pose ridicule… qui donnait sûrement beaucoup de satisfaction à Kiera. Sa voix claqua avec trop de retard. « Ça va, c’est bon, arrête un peu. »

Il se refrogna, et s’aspergea abondement d’eau. Il reprit la parole rapidement : pensif, mais également pour couper court à toute autre intervention de Kiera. « Je ne recommanderai pas, mais je suis content de m’être rendu utile. » il jeta un regard sur la paume de sa main. Il avait toutes les peines du monde à retirer la terre qui s’était impreignée dans les sillons de sa peau. Content était peut-être exagéré. « Je n’ai jamais eu l’occasion de faire ce genre de chose. Et entre nous, il est hors de question que je recommence un jour. » un sourire passa sur ses lèvres. « Mais j’aime l’idée de savoir à quoi ressemble la vie pour d’autres, en dehors des murs de Bevelle. » il lança un regard amical à Kiera, avant de perdre son attention dans le vide. Il avait connu une vie de clerc. Il s’était préparé à une vie assez similaire à celle de moines guerriers. Et il vivait désormais une vie d’Invokeur. Chacune de ses facettes étaient liées d’une façon où d’une autre, si bien qu’il s’interrogeait parfois sur la vie que mènaient ceux sur qui l’Église ne posait pas les yeux. Soren inspira profondément, avant de réaliser que son regard s’attardait méticuleusement sur les jambes de Kiera. Il s’empourpra pour la troisième fois consécutive, et s’aspergea le visage d’eau. Sérieusement… Elle aurait pu éviter.

Il avait été naïf de croire que Kiera ne partageait pas ses inquiétudes concernant Lloyd. Elle avait assisté au même spectacle que lui :  un homme, tout soldat fut-il, qui avait encaissé le souffle du roi dragon sans perdre connaissance. Évidemment que Kiera s’inquiétait. Soren soupira. Elle n’avait pas tord en soulignant que Lloyd était peut-être déjà à leurs trousses. Cette hypothèse semblait folle, mais… après ce qui s’était passé sur les rives du Sélénos, était-ce si irréaliste ? « Ce n’est pas impossible. » il inspira profondément. Puis, il réalisa que c’était probablement le dernier endroit dans lequel il s’était imaginé avoir cette conversation avec Kiera. Cette pensée lui arracha un sourire malgré lui. Elle avait raison. Et même s’il aurait préféré feindre l’ignorance, Soren savait au fond de lui que cette solution ne leur apporterait que ruine et souffrance.

Toutefois, la conversation bascula du tout au tout quand Kiera complimenta les jolies fesses du jeune homme. Soren s’empourpra aussitôt. Il se tortilla sur lui-même et tenta vainement de se couvrir, sans que la situation ne le lui permette réellement. Ses tentatives maladroites firent éclater Kiera de rire, et le jeune homme se renfrogna. Il fallait toujours qu’elle se paie sa tête… Kiera lui fit comprendre que le reste de son corps était tout aussi agréable à son regard, mais Soren s’était déjà rembruni. Il coupa court à la conversation en demandant à Kiera de mettre fin à son petit jeu. Contre toute attente, la jeune femme n’ajouta rien. Soren se renfrogna. Sa dignité blessée avait du mal à se satisfaire de cette conclusion. Dans d’autres circonstances, il aurait probablement adressé des reproches à Kiera. Toutefois, une part de lui savait que conduire une joute verbale avec Kiera dans sa tenue d’Adam ne serait probablement pas à son avantage. Il se résigna.

Quelques secondes s’écoulèrent, avant que Soren ne reprenne la parole. Sa petite contrariété s’était rapidement évanouie, au profit d’une réflexion plus inhabituelle sur le petit imprévu qui avait occupé la seconde moitié de leur journée. Il était épuisé. Pourtant, il admit que cette expérience avait un côté appréciable. Il avait connu une vie de clerc. Un entraînement proche de celui du moines-guerriers. Et désormais, il vivait comme Invokeur. Parfois, il avait le sentiment que toute sa vie s’était déroulée sous l’oeil inquisiteur de Yevon. Chaque décision. Chaque cycle de son existence. Étrangement, il avait apprécié ce petit apperçu de ceux qui vivaient loin de l’Église et de ses règles. Kiera tiqua, et lui fit comprendre qu’il avait de la chance de ne pas avoir connu davantage de cette vie. Soren esquissa un sourire compréhensif. « Ouais. Je sais que j’ai eu de la chance. » il ne releva pas, et laissa son regard se perdre dans le lointain. Kiera clôtura la conversation en pestant contre les propritéaires, qu’elle tenait pour responsable de la fuite des Chocobos. Soren esquissa un sourire.