Son sourire triste était comme une poignard dans le cœur. Presque aussi dévastateur que Sin, en colère, contre le monde. La poitrine de Ryme se serra. Il ne pensait pas à mal, bien sûr ; il ne pensait jamais à mal. Mais, sans qu'il ne s'en rendit compte, ce genre d'expression perdue et douloureuse, était difficile à supporter. La saveur aigre-douce d'un temps où les mots avaient encore qu'un seul sens pour lui, lui revint en mémoire, tandis qu'elle l'écoutait s'expliquer. L'Invokeure parvint de masquer son ressentit en picorant quelques raisins. Il ne voulait pas qu'elle détournât trop l'attention, parce qu'ils devaient affronter le village à deux. Cependant, elle ne l'entendait pas vraiment de cette oreille. Elle savait pertinemment que Cillian détestait qu'on le protégeât lorsqu'il en avait décidé autrement. Pourtant, la jeune femme ne pouvait s'y résoudre. Il avait tant fait pour elle, tant sacrifier pour elle, tant souffert pour elle... Ce n'était pas juste qu'il soit encore un peu plus blessé par l'existence, surtout si elle pouvait lui épargner ces souffrances.
Après tout, si elle ne voulait pas chanter, ce n'était pas pour que l'on ne l'associât aux Voix. C'était avant tout pour lui. Pour son amour, Ryme était prête à sacrifier le seul véritable don que lui avait fait la vie. En ne chantant pas, sa voix s'étiolerait, fanerait et finirait par n'être qu'un vague souvenir. Délaissées, ses cordes vocales ne pourraient plus produire la moitié des sons qu'elle était capable de produire, réduisant le bel oiseau qu'elle était, au silence.
Le voile sombre de ses pensées se dissipa un peu lorsqu'il lui sourit, juste avant de venir caresser son visage. Elle aimait cette sensation. Les doigts à la fois fins et rugueux de Cillian englobaient avec délicatesse le léger arrondie de sa joue, diffusant une chaleur bienveillante dans son être. Il déclara que, tout cela serait peut-être assez amusant au final, de voir le village diviser en deux : les jeunes la connaîtraient qu'au travers de la Voix qu'elle fût ; les plus anciens ne verraient en elle que la fiancé de l'enfant prodigue enfin revenu. Il s'excusa de cet état de fait : mais, la position de fiancée lui convenait parfaitement. Il était ici chez lui, ce monde lui appartenait et en étant sa ''jolie promise'', elle pouvait également en faire partit, ce qui était bien plus que suffisant pour elle.
Ryme voulu lui dire tout cela, mais elle manqua sa chance : après avoir avaler un nouveau morceau de viande, il s'était dirigé à grandes enjambées vers la baignoire. Sa jambe mutilée ne lui permettait pas de le rattraper, quand bien même elle en avait envie pour le rassurer et lui dire que tout irait bien. Mais, tant pis. C'était un acte manqué. Il n'était pas isolé et il était certain qu'au cours du temps qui leur était alloué, il y en aurait encore bien d'autres. Sur ces pensées, elle rejoignit le pouf sur lequel, elle avait déposé leurs tenues. Maladroitement, elle les déposa sur le lit avant de les détailler. Tout était à la fois simple et riche, le temple avait envie de réellement mettre la main mise sur elle : la robe qu'on lui prêtait n'était ni plus ni moins qu'une riche toilette d'Invokeur. Quant à Cillian, ils avaient dégotté quelque chose de plus sobre. Il ferait sans doute la mou en voyant tous les symboles de Yevon cousus sur les différents partis de son costume.
« Je suppose que personne ne refusera un peu d'intimité à un couple de jeune gens amoureux » répondit-elle, une pointe de légèreté dans la voix. Après tout, c'était ce qui s'était passé à Kilika : beaucoup de gens avaient voulu les approcher, mais peu, au final, avaient succomber à leur pulsions. Il fallait avouer que, déranger deux personnes en plein tête-à-tête était toujours délicat ; particulièrement, lorsqu'ils échangeaient quelques gestes d'affections.
Avec délicatesse, Ryme enleva la gaze qui entourait sa robe. Elle était composée de plusieurs couches de tissus. La jeune femme soupira : pourquoi les nippes officielles des Invokeurs étaient-elles toujours aussi complexes ? Une robe légère lui aurait amplement suffi. Mais, sa rencontre avec la vieille prêtresse lui rappela que la plupart des gens étaient comme elle : des bigots. Voir une figure religieuse légèrement vêtue alors qu'elle faisait une apparition officielle, ce n'était probablement pas décent. Un soupir était sur le point d'enclore entre ses lèvres, lorsque l'on frappa à la porte. Décidément... Heureusement, ou peut-être malheureusement, il n'y avait plus rien à interrompre. Cillian expira bruyamment, il devait être aussi lasse qu'elle. Puis, la voix familière de Garan traversa la porte. Il voulait s'entretenir avec eux, mais attendrait un peu dehors.
Ryme passa alors en vitesse des habits, les deux premières couches de sa tenue masquaient suffisamment son corps. Puis, elle jeta un œil à Cillian, ce dernier ne semblait pas être décidé à bouger du bain. Un sourire amusé se dessina sur ses lèvres.
« Tu me fais penser à un gros navet dans une marmite, immergé comme ça, avec ton air renfrogné. » lui dit-elle en retenant un léger rire.
« Je suppose que, tu te moques du fait que ton frère puisse te voir nu. Je vais lui ouvrir. »
Lentement, l'Invokeure se dirigea vers la porte et fit entrer leur invité.
« Cillian n'a pas vraiment envie de quitter le bain, tant et si bien que l'on dirait un légume entrain de cuir dans une soupe... Allons discuter près de la coiffeuse, si vous le voulez bien. » déclara doucement Ryme en se mettant en marche vers ce point précis de la pièce.
Avec douceur, elle se laissa tomber sur le petit siège et invita Garan à prendre place sur l'une des assises présentes.
« De quoi vouliez-vous nous parler ? Demanda Ryme d'une voix polie et posée.
— Eh bien, de deux choses. La première, je pense que vous vous en douter, mais, la soeur Yana a été particulièrement choquée de... Eh bien, de vos activités, dirons-nous. Je ne vous demande pas de... Comment dire cela, ne plus vous fréquentez dans l'enceinte du temple, mais essayer de ne pas trop la mettre en colère : cette femme peut-être une vraie bourrique lorsqu'elle le décide. Elle est de la vieille école, comme beaucoup de gens sur cette île préparez-vous à être harceler à propos d'un éventuel mariage. Pour l'instant, vous avez de la chance, elle a abandonné son idée de vous imposer un chaperon. »
Ryme ne répondit rien, mais ses lèvres prirent une légère courbe contrariée. La religion était si... Hypocrite. Elle punissait sans vergogne deux de ses enfants qui s'aimaient de la plus sincère des façons, tout en fermant les yeux sur les actions d'un être abject tel que Vilhatt... Sa gorge se serra un peu. Mais, elle ne montra rien de tout cela, affichant son éternel sourire aimable.
« La deuxième chose concerne d'avantage Cillian. J'aimerais que nous parlions de ta couverture. Je pense que Ryme devrait être au courant de certaines informations, afin que la vérité ne soit pas découverte. Qu'en penses-tu, mon frère ? »