Lorsque Vilhatt avait abusé d'elle pour la première fois, elle n'avait pas pleuré. Lorsque sa jambe avait été réduite en charpie, elle n'avait pas pleuré. Lorsque Cillian avait été capturé, elle n'avait pas pleuré. Ces larmes, elles avaient été cruellement volées. Alors, pour la première fois de sa vie, Ryme se laissait vraiment aller à la tristesse, un sentiment débordant, bien trop important pour que son cœur ne le contienne à la perfection. Malgré les efforts de Cillian pour rendre la situation plus douce, les larmes ne cessaient de couler, même si elle riait un peu.
D'un geste délicat, il caressa sa joue, chassant quelque opportunes de sa joue. Une légèreté se déploya dans sa cage thoracique, dépliant pleinement ses poumons et ses autres organes. Le poids de la culpabilité s'en allait enfin. Un soupir s'échappa de ses lèvres alors qu'elle sentait l'étreinte qu'il lui offrait. Un sourire naquit sur ses lèvres, paisible et doux. Un sentiment de plénitude, bien trop rare, lui ouvrit les bras et elle s'y jeta à corps perdu.

“Je suis sûre qu'elle est encore là, quelque part, ta cabane. J'ai hâte de la voir. ” murmura-t-elle d'une voix timide, après avoir profité du silence blanc de la plage et de la situation. Elle, elle ne se souvenait pas vraiment ce que c'était, d'avoir été enfant. Sa mémoire ne faisait aucun effort pour se rappeler des premières années de sa vie : tout démarrait après la victoire de Lady Yocun.

“Après demain, j'irais voir Valefor. Comme cela, nous pourrons nous concentrer sur ton entraînement. Les religieux du temple cesseront sans doute de remettre en cause mon engagement. Nous serons aurons la possibilité d'occuper notre temps libre comme bon nous semble.” continua-t-elle, dans la même mélopée.
Ryme ne se détacha pas tout de suite de lui, profitant encore un peu de sa chaleur, de sa présence. Le souvenir, encore vif, de leur séparation brutale la poussait toujours aux caprices, lorsqu'il s'agissait de leurs étreintes. Sa joue était bercée par une respiration régulière, apaisante, mais également par le rythme d'un cœur. Il battait avec la force des survivants.

“Rentrons. Du repos nous fera le plus grand bien.” L'invokeure trouva la force de décoller son visage du torse sur lequel elle s'était nichée. Les larmes s'étaient enfin taries, laissant des sillons humides sur sa peau. Le blanc de son œil, légèrement rougit, faisait ressortir l'éclat cristallin du bleu de ses pupilles.
Sa main glissa le long du dos de son compagnon, puis de sa cuisse – frôlant uniquement par inadvertance la naissance de ses muscles fessiers, pour finalement se loger confortablement au creux d'une de celle de Cillian. La différence de taille entre les deux extrémités la faisait toujours sourire. Bien qu'elles avaient perdu en délicatesse, les mains de Ryme étaient pourvues de longs doigts fins et d'une petite paume ; ces petites menottes se faisaient engloutir par celle de Cillian.

Après une inspiration légèrement bruyante, pour ravaler ses derniers pleurs, Ryme amorça leur retour. Ils ne parlèrent pas beaucoup sur le chemin. Les mots n'étaient pas nécessaires entre eux, un seul regard, un seul sourire ou un petit geste, voulait dire bien plus. Parfois, elle posait une question sur la faune, des petites pointes de curiosité qui trouvaient parfois une réponse. Le village commença à se dessiner au loin, mais il regorgeait d'activité. L'emprisonnement d'Halbyon était sans nul doute, l'attraction de la journée. La rumeur se répandrait rapidement que, le pauvre homme rendu fou par la perte de sa femme, les avait attaqué alors qu'ils allaient inscrire leurs noms sur la paroi de la grotte des amoureux. Ryme avait de la peine pour lui. Mais, elle avait décidé de ne pas montrer de pitié.

“J'ai le cœur qui va exploser...” murmura-t-elle à l'orée du chemin pour retourner en ville. En plissant légèrement les yeux, elle distingua la silhouette de Jienne, mais aussi de celle du maire et des parents de Cillian. Une moue désapprobatrice déforma la bouche de Ryme, elle n'aspirait qu'a une chose : la tranquillité. Peut-être qu'ils pourraient encore se détourner, partir dans la forêt et attendre que le comité d’accueil se lasse. Mais elle sentit les regards glisser sur eux, les corps qui commençaient à se tendre sous l'anticipation de leur retour.
Ryme serra un peu plus la main de Cillian, puisant en sa présence un peu de courage. Puis, elle avança, la tête haute, le visage serein, dans une attitude régalienne. Le mirage de la femme forte, de la Voix devenue Invokeure était de retour pour le bien de tous.

La mère se Cillian s'approcha en premier, elle avait pleuré. Un sourire perla sur ses lèvres en constatant que son garçon était encore entier. Instinctivement, elle voulu approcher la main, pour le toucher, s'assurer qu'il était bel et bien là, mais elle se ravisa avec douceur. L'attention de Samaah se retourna vers Ryme et avec elle, elle n'hésita pas à se montrer tactile. Les petites mains potelées, mais rugueuses de la mère de Cillian la touchèrent un peu partout, avant de venir encadré ses joues avec douceur.
“Vous êtes là ! Vous n'avez rien ! Nous avons eut si peur, si peur !” elle était sur le point de se remettre à pleurer, Ryme regarda Cillian ne sachant que faire.
“Maman, laisse les respirer enfin ! gronda joyeusement Jienne, en tirant légèrement sur la robe de sa mère.
— Oh, oui, pardon !”
Un petit rire agita la mère et la fille. Le père de Cillian, qui venait d'arriver toussa un peu pour qu'elles se poussent. Le vieux maire s'avança à son tour. Il courba légèrement l'échine devant Ryme, mais concentra son attention sur Cillian.

“Je suis sincèrement désolé qu'Halbyon vous ait causé du tort. Nous aurions dû être plus vigilent à son sujet, il n'est plus le même depuis le décès de Kalmia. Nous le jugerons la semaine prochaine, en attendant il restera dans une geôle dans le camp des Bannisseurs de l'île.” déclara-t-il d'une voix douce, mais pleine d'assurance.

“Je dois te remercier également Cillian, je suis agréablement surpris de l'efficacité des petits jeunes de l'île. Tu es un excellent maître d'armes. Besaid est chanceuse de compter un homme comme toi parmi ses habitants.
— C'est uniquement grâce à votre petite fille que leur sauvetage a été possible, monsieur. Nous vous sommes reconnaissants, s’empressa de dire la mère de Cillian, ignorant tout des sombres desseins de Marnie.
— uniquement la chance l'a mise sur cette plage, le mérite de ces petits jeunes reste le même. J'enverrais une lettre au Maire de Killika lorsque vous devrez partir, pour recommander tes services. Sur ce, je vais me retirer. Reposez-vous.”
Il se courba à nouveau, puis à petits pas hésitants, il s'en alla.

Les regards des curieux glissaient sur eux. Un sentiment désagréable, mais nécessaire pour affirmer leur unité. Plus personne n'oserait remettre en doute leur relation, en vu du lieu où l'incident s'était produit. Ryme chercha du regard son Gardien, Gordias, car elle était persuadée qu'une bonne leçon de morale l'attendait.