Le commentaire de Soren au sujet de Kiera et de son penchant pour l’alcool fit mouche, arrachant une vague de protestations à la demoiselle. Celle-ci invoqua les récents événements pour justifier son acte, arguant à demi-mot qu’elle avait bien mérité de se détendre. Soren éclata de rire. Puis, chacun observa silencieusement les alentours, jusqu’à ce que Soren demande à la jeune femme de remplir son verre. Celle-ci ne bougea pas, affichant un sourire amusé, avant de tendre les jambes pour attraper la bouteille qui trainait là. Soren afficha d’abord un sourire, qui se transforma en un regard inquiet quand Kiera lança d’un geste brusque la bouteille dans sa direction. Toutefois, Kiera rattrapa aussitôt la précieuse marchandise, démontrant par la même occasion que l’alcool n’avait pas encore totalement eu raison de ses réflexes. Soren attendit que la jeune femme remplisse son verre, et la porta à ses lèvres tandis que Kiera continuait au goulot. Sa lampée avalée, elle pesta en al-bhed. Soren esquissa un sourire. « Il faudra que tu m’apprennes un jour. » puis, il termina son verre.

Doucement, l’euphorie de la fête laissa place au calme de la nuit. Soren éprouva une certaine déception à l’idée que cette soirée se termina, mais se résigna à cette idée. La piste de danse s’était vidée. Les groupes se disloquaient les uns après les autres. Et finalement, Kiera se releva. Privé de sa principale source de chaleur, Soren réprima un frisson. Ce qui ne l’empêcha pas d’attraper la main tendue par Kiera, se hissant sur ses jambes qui lui semblaient désormais bien lourdes. « Je te suis. » maintenant qu’il était debout, la fatigue s’emparait doucement de lui. Il s’aventura donc à la suite de Kiera, l’accompagnant vers une petite tente isolée. Kiera lui expliqua que la mariée avait tenu à ce qu’ils disposent d’un semblant d’intimité, et après la journée qu’ils avaient vécue, Soren éprouva un profond sentiment de gratitude à son égard. « C’est gentil de sa part. Il faudra qu’on la remercie. » puis, conformément aux indications de Kiera, Soren pénétra le premier dans la tente.

Jamais il n’avait imaginé qu’une tente puisse-t-être aussi bien aménagée. Le sol était recouvert d’un tapis moelleux, parsemé de coussins colorés, qui rendaient cette chambre improvisée étonnamment chaleureuse. Quelques petites tables étaient disposées dans les coins stratégiques de la pièce, proposant aux deux voyageurs de quoi manger et boire en cas de besoin. Il avait connu des chambres bien moins accueillantes, et pour la première fois, Soren réalisa qu’il ne connaissait absolument rien de la façon dont vivaient réellement les habitants de Spira.

Les premières lueurs du matin jouaient avec ses paupières, lui arrachant un froncement de sourcil. La lumière du soleil filtrait à travers le tissu de la tente, réchauffant son visage. Une agréable odeur de café arriva jusqu’à lui. Puis, il entendit les premiers échanges là-dehors : des voix, des salutations, et quelques rires pour les plus matinaux. Lentement, ses derniers sens s’éveillèrent. Ce ne fut que lorsque ses paupières s’ouvrirent que Soren réalisa où il se trouvait. Une légère migraine se réveilla avec lui, ravivant à sa mémoire la soirée de la veille. Les souvenirs émergèrent l’un après l’autre. Mais quand il se remémora enfin la fin de soirée, Soren se réveilla brusquement. Il regarda à côté de lui, mais découvrit que la seconde place du lit était vide. Encore tiède. Mais vide. « Et merde… » il enfonça sa tête dans l’oreiller, et soupira de dépit.

Étrangement, il réalisa qu’il ne regrettait rien. Il avait donné libre court à ses envies. Et même s’il avait affreusement honte de son comportement, une part de lui était en paix avec l’idée qu’il avait simplement profité de ce qu’il avait toujours désiré. Il émergea finalement de l’oreiller, le rouge aux joues, une moue pincée sur les lèvres. Comment tout ça avait-il autant pu échapper à son contrôle. Il soupira, et se tourna de façon à s’allonger sur le dos. Bras écarté, résigné, Soren fixa le pan de tissu qui lui servait de toit, et dont le soleil ravivait les couleurs chaleureuses. Il avait honte de son comportement. Et pourtant, il n’arrivait pas à se formaliser pour cette histoire. Il savait qu’il aurait dû prendre cette affaire plus au sérieux, et pourtant, toute cette histoire lui semblait sans réelle importance. Malgré ses efforts, il n’arrivait pas à ôter les silhouettes de Lloyd et Alissia de son esprit. S’il avait éloigné ses fantômes le temps d’une nuit, la lumière du jour ravivait désormais les ombres de ceux qu’il cherchait à oublier. Il passa ses paumes contre son visage, lâchant un long soupir. Cette soirée n’avait été qu’un moment d’égarement. Le reste, en revanche, ne pouvait plus être ignoré.

Il s’habilla, et quitta la tente quelques minutes plus tard. Dehors, la vie reprenait son cours : les gens émergeaient de leurs tentes, le visage plus ou moins marqué par les excès de la veille. Soren avait lui-même le regard tiré, mais préféra ne pas trop s’attarder sur son état. Il remarqua rapidement la silhouette de Kiera, mais surtout la voix de Rhys qui se trouvait avec elle. Difficile de ne pas entendre les exclamations du marchand, qui réprimandait Kiera comme la pire des criminelles. « Merde, Kiera… » il soupira, espérant secrètement que Rhys la sermonnait uniquement car elle avait mangé sa dernière tartine du matin, et pas pour une toute autre raison autrement plus probable. Soren se massa les paupières, chercha un semblant de courage, et s’approcha finalement. Rhys le remarqua, et se tourna aussitôt vers lui. Son expression, à la fois horrifiée et coupable, confirma à Soren ce qu’il savait déjà. Ce n’était pas la tartine. « Soren je… Vous… Je suis désolé, si j’avais su ce qu’elle allait faire, je… » Soren secoua doucement la tête. « J’apprécie votre sollicitude. Mais… Ce qui est fait est fait. Et… Je ne peux pas laisser Kiera endosser tout le blâme pour ce qui s’est passé. » Rhys ne répondit pas, cherchant ses mots, sans être en mesure de lui faire la morale comme il l’avait fait à Kiera. Soren s’installa, profitant de l’occasion pour lancer un regard réprobateur à Kiera. Puis, il se servit une tasse de café. Rhys, qui avait retrouvé un semblant de calme, reprit finalement la parole. « Vous allez vraiment aller demander la grâce du priant après ça ? » Soren avala de travers, et s’étrangla avec sa gorgée de café brûlant. Soren porta sa main à sa bouche, toussant pour dégager sa gorge. Il n’avait pas pensé à ce détail. Et… Il n’avait aucune idée des conséquences de ses actes sur son pèlerinage. Malgré le profond sentiment d’incertitude qui s’empara de lui, Soren tenta de garder son sang-froid. « Oui. Mon pèlerinage continu. » Soren lança un regard à Kiera, puis reporta son attention dans le café sombre qui dormait paisiblement dans sa tasse. « Une autre chimère ne sera pas de trop pour ce qui nous attend. » même si la fête avait soulagé les mœurs, il n’avait pas oublié l’épisode de l’auberge, ou encore le combat contre Lloyd. Il porta de nouveau son regard en direction de Kiera. « Ça, et quelques jours de répit. » ils avaient de l’avance, mais même s’ils tentaient de mettre de la distance entre eux et Bevelle, Lloyd finirait par les rattraper. Quitte à disposer d’un répit, il préférait en profiter pour reprendre des forces, dans l’anticipation du jour où leurs chemins se croiseraient à nouveau.

La question de Rhys avait arraché une gorgée de travers à Soren, et un fou rire à Kiera. Tandis que la jeune femme riait à s’en tordre le ventre, Soren fit de son mieux pour retrouver un semblant de contenance. Il réalisait qu’il n’avait pas la moindre idée des conséquences de son acte sur son pèlerinage. Le priant serait-il en mesure de connaître ses actes ? Pourrait-il lire son appréhension, à l’instant où il pénétrerait dans son antre ? Il se sentait idiot. Idiot, et terriblement mal à l’aise à l’idée d’être tributaire d’un coup de chance, sur lequel il n’avait pas la moindre influence.

Soren retrouva finalement son sang-froid, et répondit simplement que son pèlerinage continuerait malgré tout… Et que la bénédiction du priant serait une aide indispensable pour la suite de ce voyage. Kiera cessa aussitôt de rire, affichant une expression dépitée. Le souvenir du combat contre Lloyd était encore vif dans leurs esprits, et Kiera rebondit aussitôt sur le répit auquel Soren faisant allusion. Elle n’avait aucune intention d’attendre que ce genre de situation se reproduise. Soren esquissa un sourire. Sur ce point, ils étaient sur la même longueur d’onde. Soren allait répondre, mais Rhys fut plus rapide. Et sa question fit froncer les sourcils de Soren. Duncan ? Héritière ? Le marchand venait de soulever un pan de l’histoire de Kiera que Soren n’aurait jamais soupçonné. Mais avant que Rhys n’aille plus loin, Kiera lui ordonna de la fermer. Un bref silence s’installa, suite à quoi Kiera se leva, prenant congé sans plus de manière. Elle demanda à Soren de la rejoindre devant le temple, ce à quoi le jeune homme hocha simplement la tête. S’il se fiait à son humeur massacrante, il valait mieux la laisser quelques instants. Il regarda Kiera s’éloigner. Puis, Rhys lâcha finalement un soupir. Il s’installa face à Soren, et se força à sourire. Puis, il lui expliqua de quoi il était question. Il apprit ainsi que Kiera n’avait pas toujours été un électron libre. Soren avala un verre d’eau et une tasse de café, tandis que Rhys lui expliquait qui Kiera avait été, et comment les choses avaient basculé. Soren ne prononça pas un mot, écoutant attentivement le récit de Rhys. Quand le marchand termina son histoire, Soren échappa un soupir amer. Il l’avait peut-être jugée un peu vite.

Son explication terminée, Rhys revint sur les faits de la nuit dernière. À sa manière, il exprima son inquiétude pour le jeune homme. Soren secoua la main, comme pour couper court à ce sujet qui commençait à le mettre mal à l’aise. Pour lui qui avait toujours été relativement discret quant à ses relations, l’étalage de sa nuit avec Kiera était tout, sauf une formalité. Mais Rhys ignora le geste de Soren, afin de le mettre en garde. Il ne devait rien attendre de Kiera. Soren regarda le marchand, intrigué. Rhys lui précisa que pour Kiera, tout ceci n’avait rien de sérieux. Pas d’engagement. Pas de promesses. Soren le dévisagea quelques instants, assez étonné pour cette mise en garde. « Pour être honnête… Je l’avais déjà bien compris. » il lança un sourire au marchand. Sincère. Reconnaissant. « Merci pour votre sollicitude, Rhys. » puis, son sourire s’étira très subtilement. Soren se versa une autre tasse de café, tout en glissant un regard en coin à Rhys. « Mais… Vous avez l’air de très bien connaître Kiera. » Soren lui lança un regard. Puis, il avala son café avec un sourire triomphant. Le liquide sombre coula dans sa gorge, réchauffant doucement son corps encore léthargique. « Vous savez… Même si elle est loin d’être tendre, Kiera m’a déjà beaucoup aidé. Et même si les choses prennent une mauvaise tournure, je sais que je peux compter sur elle. Ne vous inquiétez pas autant de sa présence à mes côtés. » Soren reposa finalement sa tasse, et lança un regard en direction du temple. Il se tourna une dernière fois vers Rhys. « Je vais rejoindre Kiera. Donnez ma bénédiction et mes remerciements les plus sincères aux mariés. » et après une salutation respectueuse au marchand, Soren s’éloigna, rejoignant l’entrée du temple.

Kiera ne fut pas difficile à trouver. Plantée devant le temple, la femme aux cheveux rouge était loin de se fondre dans le paysage. Soren s’approcha, prenant la parole d’un ton désinvolte. « La prochaine fois, évite de crier ce genre de chose sur tous les toits. » il faisant allusion au fait que Kiera avait éhontément avoué ce qu’ils avaient fait la veille, chose que Soren aurait préféré garder plus discrète. Il soupira, puis regarda Kiera. Cette fois-ci, il semblait plus sérieux. « Tu as dis que tu ne voulais pas que le prochain combat contre Lloyd se solde de la même façon. Qu’est-ce que tu as en tête ? » au vu des récents événements, préparer leur prochaine rencontre avec le soldat de Bevelle était devenu une priorité.