Cela faisait maintenant plusieurs minutes que Soren fixait la casserole de curry avec intérêt, ignorant encore s’il éprouvait de l’inquiétude ou de la curiosité à l’idée de manger un repas préparé par Kiera. Après quelques minutes, Kiera pesta en Al-Bhed. Même s’il ne parlait pas la langue, le ton de sa voix était aussi explicite que des mots. Elle était pensive. Qui ne l’aurait pas été ? Conscient que Kiera avait besoin d’être seule avec elle-même, il avait décidé de ne pas la déranger. Il fallut de longues minutes avant que la jeune femme ne s’extirpe du fil de ses pensées, complimentant Soren sur l’acharnement dont il avait fait preuve durant leur entraînement. Soren haussa les épaules. « Tu te défends pas mal non plus. » à cette pensée, son corps lui remémora les hématomes qui parsemaient son torse. Une garde fragile lui avait value plusieurs coups particulièrement bien placés, dont il ne tirait pas une grande fierté. Kiera lui tendit finalement une assiette de curry, que Soren attrapa avec appétit. La chaleur qui irradiait du plat avait quelque chose de réconfortant, peut-être même plus encore après un entrainement dans l’eau froide. Soren porta une cuillère à ses lèvres, et découvrit un plat réconfortant et riche en saveurs. Il regarda Kiera avec un sourire. « C’est excellent. J’admets que tu caches bien ton jeu. Je ne t’aurais pas imaginée préparer ce genre de plat. » il avala une autre cuillère avec gourmandise, trouvant du réconfort dans la chaleur et le parfum de son curry.

Kiera termina la première, et porta finalement son attention sur lui. Il restait une question qui l’interrogeait. Soren leva son regard vers elle, écoutant sa question. Il avait parlé de doutes, mais elle ignorait toujours sur quoi le jeune homme avait réellement porté ses doutes. Soren afficha un sourire, et porta son attention sur son assiette. Il avala une cuillère de curry tout en réfléchissant à la meilleure façon d’expliquer les choses. « J’ai douté des enseignements de l’Église. Enfin, de la bienveillance de ses enseignements. J’ai commencé à me demander si le clergé ne dissimulait pas ses propres intérêts derrière le dogme de Yevon. Et… de fil en aiguille, cette question a secoué la vie que j’avais mené jusque-là. J’imagine que… » mais Kiera le fit taire d’un signe de la main, porta sa main à sa lance. Ils échangèrent un regard, et Soren attrapa son arme. Kiera passa la première, et Soren se prépara à couvrir ses arrières. Kiera frappa la première, et un vif échange de coup éclata dans la grotte. Soren allait lui prêter main forte, quand la jeune femme abaissa son arme. Et l’inconnu se présenta.


Il aurait préféré ne pas être là. Cela faisait maintenant plusieurs minutes que le nouveau venu le dévisageait sans un mot, affichant une tension palpable. Soren réprima un soupir agacé, et décida de prendre son mal en patience. Il accueillit silencieusement la tasse de café préparée par Kiera, enveloppa le récipient chaud entre ses paumes. Kiera fit remarquer son comportement au dénommé Last, arrachant un grognement contrarié au jeune homme. Durant un instant, Soren se demanda si le mauvais caractère était un critère de recrutement pour intégrer les Dragoons. Ravalant son cynisme, il préféra se concentrer sur cette rencontre prématurée avec un représentant de leur prochain obstacle. Mais quand Last évoqua le nom de Rhys, Soren tiqua aussitôt. Il comprit immédiatement les implications de cette révélation, et pesta entre ses dents. Il avait été idiot de croire que, hors de Bevelle, les choses seraient différentes. Le profit et l’opportunisme n’était pas des valeurs propres à l’Église. Il avait été naïf. Comme s’ils ne cumulaient pas déjà suffisamment de problèmes. Soren se crispa légèrement quand Last fit allusion au bon moment évoqué dans la lettre de Rhys, jetant un regard réprobateur à Kiera. Soren soupira et avala une gorgée de café. Last développa la raison de sa présence ici, précisant qu’il n’était pas ici comme éclaireur. Soren leva un regard dans sa direction, et hocha simplement la tête quand Last chercha à confirmer son nom. Toutefois, la suite étonna Soren. Contre toute attente, Last désirait se ranger du côté de Kiera. Soren porta son regard vers cette dernière, conscient qu’elle seule connaissait suffisamment le jeune homme pour savoir s’il était digne de confiance. Kiera s’adossa contre la paroi de la grotte, lâchant ce qui ressemblait à une floppée d’insultes dirigée, sans surprise, à l’encontre de Rhys. Puis, Kiera décida de mettre Last en garde. Celui-ci ne se démonta pas, mettant en avant que ses sentiments n’influenceraient pas son sens du jugement. Soren se relâcha légèrement, fixant l’expression du jeune homme. S’il était sincère, sa loyauté pourrait peut-être rétablir l’équilibre de la bataille absurde dans lequel ils s’engageaient. Last se tourna finalement vers lui, curieux d’en connaître plus à son sujet. Soren lui lança un sourire et haussa les épaules. Si Rhys avait informé Harlan de leur arrivée, il était envisageable que les informations du marchand remontent d’une manière ou d’une autre à Lloyd. Rhys connaissait Kiera, et Soren l’avait tout naturellement informé de son statut d’Invokeur. Or, il doutait que beaucoup d’Invokeur fasse route avec une Al-Bhed en fuite. À ce titre, à quoi bon mentir ? Il jeta un bref regard à Kiera, puis reporta son attention sur Last.

« Kiera s’est fait prendre près de Bevelle. Je l’ai libérée en prétextant que je l’emmenais en pèlerinage… Évidemment, ce n’a pas été au goût de tous, et les choses ont mal tournées. » Soren fixa Last encore quelques instants, avant de reprendre. « Elle m’a aidé plusieurs fois, et j’ai prévu de lui rendre la pareille. » si Last avait encore un doute, il avait la ferme intention de lui faire comprendre qu’il ne restait pas spectateurs si les choses s’envenimaient pour Kiera. Il avala une gorgée de café. Après une courte hésitation, il décida de ne pas interroger Last sur son lien avec Harlan et Kiera. « À quoi doit-on s’attendre en arrivant à Luca ? » le regard de Soren avait légèrement changé. Il termina son café, attendant avec attention la réponse de Last.

Il n’avait pas imaginé un seul instant que son petit résumé provoquerait une telle réaction chez Last. D’abord hébété, le jeune homme avait littéralement éclaté dans une colère sourde. Last s’était levé, exposant sa colère à l’encontre de Kiera. Celle-ci l’avait aussitôt imitée, ne se démontant pas face à son ancien compagnon. Soren soupira, attrapant l’arrête de son nez entre son index et son pouce.

La tension qui habitait Last était palpable. Malgré ses airs calmes et confiants, ses réactions trahissaient son manque total de contrôle sur ses émotions. Il était à fleur de peau, comme si un battement d’ailes aurait suffi à faire éclater ses émotions. S’ils avaient trouvé un allié, Soren commençait à douter de sa fiabilité. Les reproches tombèrent les uns après les autres, et après un premier échange cinglant, Kiera attrapa Last par le col. Sa voix monta, éclatant avec force dans la grotte. Soren attendit que la tempête passe. Kiera repoussa finalement Last, et lui fit comprendre que le passé resterait le passé. Last resta silencieux. Il quitta la grotte sans un mot, une rage palpable dans son sillage.

Kiera soupira, exaspérée par la situation. Soren ne se formalisa pas de ses excuses, et la jeune femme s’installa face au feu. Plongée dans ses pensées, elle lui demanda un moment de calme. Soren acquiesça et se releva. Il éprouva l’envie d’adresser quelques mots réconfortants à Kiera, en vain. Il soupira, et se résigna à la laisser tranquille. En arrivant à sa hauteur, il déposa simplement une tape amicale sur son épaule. Puis, Soren quitta la grotte, laissant à Kiera quelques instants de solitude.

À l’extérieur, le froid était mordant. Les remous de l’océan soulevaient une fine bruine qui rafraîchissait la plage, accentuant la sensation des vents marins contre sa peau. Soren inspira, levant son regard en direction de la lune qui les observait en silence. Last ne canalisait pas ses émotions. Kiera était secouée. Et il n’avait toujours aucune idée de ce qui les attendait à Luca, rendant impossible toute élaboration d’une tactique, aussi rudimentaire soit-elle. Soren soupira, et referma les pans de sa veste autour de ses épaules. Son regard se porta alors sur Last, seul face à l’océan d’encre. Il le regarda quelques secondes, hésitant. Soren pesta discrètement, et s’avança finalement en direction du jeune homme.

Malgré une apparence froide et impassible, il avait constaté à ses dépens que Last faisait davantage usage de ses émotions que de sa tête. Soren se résigna, et abandonna l’approche diplomatique. « Tu t’es comporté comme un imbécile. » il avait conscience que le jeune homme risquait de réagir brutalement. Toutefois, sa voix et son regard n’exprimaient ni hostilité, ni jugement. Soren ne se démonta pas, réprimant toute once d’agressivité, qu’importe si Last risquait de lui sauter à la gorge. « Tu ne peux pas tout lui mettre sur le dos et lui demander de t’aider. » son regard ne lâcha pas celui de Last. Quitte à être froid et impartial, autant en faire usage au profit du jeune homme.

La réaction de Last avait été immédiate. Soren avait à peine terminé sa phrase lorsque le jeune homme s’avança vers lui, empoignant son col. Son regard vibrait d’une rage sourde, dénuée de raison. Puis, il accusa Soren de ne pas être en droit de prendre position. Il ne savait rien. Il n’était pas un membre de leur groupe. Soren ne répondit rien, et Last le repoussa brutalement. Soren recula sous l’impulsion du jeune homme, puis retrouva son équilibre. Leurs regards se croisèrent, mais à nouveau, l’Invokeur ne se déroba pas face à l’expression accusatrice de Last. Piégé entre colère et tristesse, le Dragoon face à lui refusait d’admettre la vérité. Détournant le regard d’une évidence, il s’était enfermé dans un cercle infini de rage et de chagrin, les seules émotions qui le reliaient encore à ce passé dont il refusait de se défaire. Soren soupira entre ses lèvres closes. Combien de fois avait-il été confronté à ce genre de comportement ? Last reprit la parole, arrachant Soren aux fantômes qui effleuraient son esprit. Entêté, le Dragoon argumenta que Kiera n’avait pas le choix. Il avait façonné un fautif, une responsable à ses malheurs. Mais en l’écoutant, Soren douta que Last ait jamais envisagé la moindre solution.

Si Last termina sa phrase, la tristesse s’était toutefois déjà emparée de lui. Ses jambes cédèrent sous le poids du chagrin, tandis que ses poings frappèrent le sol sous l’effet de la rage qui l’habitait. Dans une complainte douloureuse, le jeune homme avoua ses véritables sentiments. Il n’avait pas le cran. Il avait perdu ses idéaux. Sa famille. Ses repères. Soren le regarda sans un mot. Il chassa les silhouettes de Lloyd et Alissa, qui s’imposèrent à son esprit. Toutefois, il n’arriva pas à faire disparaître l’ombre de son père, qui le fixait avec une expression pleine de désapprobation. Soren soupira, et Last se releva. À nouveau, le Dragoon empoigna l’Invokeur par le col. Puis, sombrant dans la tristesse, Last lui cracha au visage qu’il ne savait pas quelle sensation il avait éprouvé quand tout s’était écroulé devant lui, sans qu’il ne trouve le courage d’intervenir. Last le relâcha, lui lança un dernier regard, puis se tourna de nouveau vers l’océan. Soren le regarda quelques instants. Il aurait préféré que cette petite explosion de colère suffise à lui faire prendre conscience de ses erreurs. Pourtant, le jeune Dragoon ne semblait toujours pas regarder les choses en face. Soren inspira profondément, rassemblant ses esprits de façon à retrouver son calme. Puis, il s’avança. Il s’arrêta à côté de Last, fixant le ciel qui s’étendait par-delà le vaste océan. « Non, je ne comprends pas. Et je ne pense pas que quelqu’un puisse comprendre. » Soren ne bougea pas, fixant une étoile dont la lumière vacillait faiblement. « Mais contrairement à ce que tu sembles croire, tu n’es pas le seul à avoir tout perdu dans cette histoire. » il se tourna en direction de Last, branquant sur le Dragoon un regard assassin. « Tu lui mets tout sur le dos, mais est-ce que tu as seulement tenté de la comprendre ? » il s’avança d’un pas sec, brisant la distance qui le séparait de Last. Il savait que les choses allaient probablement prendre une mauvaise tournure. Mais… au diable la gentillesse, et cette habitude maladive de conforter les autres dans les erreurs. « Dis-moi juste une chose, Last. Pourquoi elle était seule, quand elle s’est fait prendre à Bevelle ? Pourquoi tu n’étais pas là ? » il s’avança de plus belle. « Est-ce que tu l’as seulement aidée ? Tu dis que tu as eu peur. Tu dis que tu n’as pas le cran. Tu penses vraiment qu’elle te doit encore quelque chose ? Que tu t’es comporté comme sa famille ? » il venait de dépasser les bornes. Son corps était déjà tendu, sa mâchoire prête à accueillir un coup de poing qu’il sentirait probablement pendant plusieurs jours.

S’il avait anticipé le coup de poing de Last, cela n’atténua en rien la douleur qui irradia dans sa mâchoire. Soren recula légèrement à l’impact, accusant le coup. Il pesta et massa sa mâchoire. Last s’avança vers lui, prétextant un quelconque argumentaire pour justifier que les familles fonctionnaient ainsi. Soren ne l’écouta que d’une oreille, accordant davantage d’intérêt à la douleur dans sa joue. Last l’agrippa alors par le col, et Soren réprima un soupir de colère. Il en avait assez de ce petit jeu. Affichant un sourire mauvais, Last lui fit comprendre quelle relation existait encore Harlan et Kiera. Si le Dragoon semblait satisfait de sa petite révélation, Soren ne broncha pas. Cela ne changeait absolument rien pour lui. Last termina sa petite histoire, et relâcha finalement Soren. Puis, le Dragoon déclama à voix haute que, malgré tout cela, il la pardonnait. Les lèvres de Soren s’ouvrirent, mais se refermèrent aussitôt. Last argumenta finalement la raison de son absence auprès de Kiera. La respiration de Soren s’était légèrement accélérée. Réalisant que sa main s’était serrée, il croisa les bras.

Last termina d’une voix cinglante, remémorant à Soren qu’il n’était absolument rien dans cette histoire. Soren le fixa quelques instants, ne répondant rien. Il s’était attendu à bien des choses, mais pas à cela. Un petit sourire passa sur le coin de ses lèvres. Soren inclina légèrement la tête sur le côté. « Je me fiche de ce que tu penses de moi, Last. » il insista sur son nom. Puis, il se redressa. Son regard se planta dans celui de Last, comme s’il scrutait paisiblement les émotions qui dansaient au fond de ses pupilles. « Tu ne fais que te trouver des excuses. » sa sentence était tombée, froide et détachée. Soren le toisa longuement. Qu’importe les protestations que Last pourrait émettre. Sa voix s’éleva, nette et tranchante. « C’est toi qui devrais lui présenter des excuses. » Soren abaissa lentement sa main, son regard transperçant littéralement Last. Ce n’était pas un jeu. Ce n’était pas une question de coupable ni de responsabilité. Si Last n’était pas capable de l’étendre, Soren, lui, ne jouerait pas le sourd. « Et toi, tu as l’intention de réparer tes tords ? » il décroisa lentement ses bras. « Que les choses soient claires. Je ne partirai pas… » sa voix flotta en l’air quelques secondes. Soren détailla Last des pieds à la tête, et le fixa d’un regard bien plus froid que les précédents. « Et si c’est ce que tu penses d’elle, tu mérites ce qui t’arrives. » il était prêt à réagir. La tension qui régnait entre eux était palpable, et pouvait explorer à tout instant. En détaillant Last, il avait également identifié les armes que le Dragoon avait à sa disposition. S’il passait à l’attaque, il serait prêt à réagir… ou tout du moins, à esquiver. Son épée étant restée dans la grotte, Soren n’aurait que ses poings pour se défendre.

Cette fois-ci, la situation dégénéra pour de bon. Et même si Soren s’était préparé, il ne s’était pas attendu à ce que Last se jette aussi brutalement sur lui. Le poing du Dragoon percuta de nouveau sa mâchoire, lui arrachant un cri douloureux. Soren protégea son visage, mais accusa un coup dans l’abdomen. Il ne se dégagea que lorsque son poing s’enfonça dans les côtes de Last, le repoussant en poussant violemment sur ses jambes. Quand il se releva, Last se jetait de nouveau sur lui.

Ils échangèrent plusieurs coups, et si aucun d’entre eux ne cédaient de terrain, Soren devait bien admettre que la résistance de Last était supérieure à la sienne. Ignorant si le Dragoon profitait des effets de sa colère ou s’il était simplement plus endurant, Soren était toutefois lucide sur l’issue de ce petit manège s’il ne se dépêchait pas. Toutefois, il se figea que Last s’empara de sa lance. Il avait envisagé que le Dragoon fasse usage de son arme. Mais il n’avait pas prévu que Last en ferait usage avec l’intention de l’abattre. Son expression changea, conscient que les choses prenaient une mauvaise tournure. La lance du Dragoon siffla, menaçante et assassine. Sans arme, Soren se rabattit sur la magie. Plusieurs éclats lumineux accentuèrent le manque de précision de Last, offrant à l’Invokeur autant de moments de répits. Toutefois, il sentait que son corps était encore lourd, et ses réserves de magique appauvrie. La séance d’entraînement avait sérieusement puisé dans ses réserves, et il n’avait pas récupéré. Et au terme d’un ultime échange de coups, la lame de Last siffla dans sa direction.

Un fracas métallique s’éleva, et la lance de Last manqua sa cible. Kiera s’était interposée, neutralisant Last d’un coup dans l’estomac. Soren soupira de soulagement, rassemblant ses esprits. Sa main tremblait encore, sans qu’il ne sache qui de l’adrénaline ou du souffle de la mort en était responsable. La voix de Kiera s’éleva, et conscient que son rôle s’arrêtait ici, Soren se recula légèrement. Près de la jeune femme, Last se recroquevilla sur lui-même. Soren porta son regard sur l’océan, jugeant qu’il n’avait aucun droit de voir le jeune homme dans un tel état. En écoutant Kiera, il devina qu’elle avait pris sa décision. Elle ne se souciait pas d’être l’objet de sa colère, à la seule condition que Last lui prête sa lance. Un silence s’installa, comme si Last assimilait une à une les paroles de Kiera. En entendant le frottement du sable, Soren jeta un regard en direction des deux anciens camarades. Debout, Last portait toute la misère du monde sur ses épaules. Si la culpabilité effleura l’esprit de Soren, il resta néanmoins fidèle à sa décision. Puis, d’une voix sans conviction, il annonça à Kiera qu’il l’attendrait à Luca. Et sans un mot de plus, le jeune Dragoon s’éloigna, disparaissant dans l’obscurité.

Soren le suivi du regard, partagé entre la colère et l’amertume. Près de lui, Kiera semblait également partagée après cette rencontre mouvementée. Puis, Kiera se tourna brusquement vers lui. Il s’était attendu à des remontrances, mais pas à ce que la jeune femme attrape son menton. Soren grimaça au contact de ses doigts, réprimant un grognement plaintif tandis qu’elle l’inspectait sous toutes les coutures. Sa mâchoire lui faisait un mal de chien. Toutefois, il préférait cela à une gifle ou un coup de poing de la part de la jeune femme. Kiera lui demanda finalement ce qui lui était passé par la tête. Soren haussa les épaules, affichant une moue pincée. Kiera l’attrapa alors par le bras, l’entraînant avec elle pour prendre soin de ses blessures. Soren ne lutta pas, et s’installa face à Kiera. Il songea un instant que sa magie aurait été plus efficace, mais cette idée disparue d’elle-même de son esprit. Kiera attrapa son nécessaire de soin, tout en soulignant que Soren avait eu de la chance. Celui-ci détourna le regard, affichant une mauvaise foi exemplaire. « Ça lui aurait peut-être mis quelque chose dans le crâne. » Kiera approcha une compresse de son visage, et Soren recula légèrement. Il échangea un bref regard avec Kiera, et se résigna finalement. Sa mine contrariée s’effaça doucement, et il retrouva son sérieux. Quand la compresse se posa contre son visage, il grimaça. Son regard s’égara brièvement, retraçant le fil des événements. Soren soupira finalement, décrochant enfin un mot sur ce qui le préoccupait réellement. « J’espère que ça ira pour lui. » son regard s’attarda dans le vide, alors que des doutes affleuraient à la surface de son esprit. Toutefois, la compresse qui se posa contre l’un de ses hématomes le ramena brusquement à la réalité. Il pesta de douleur, songeant un instant à taire les quelques hématomes sur son torse. Soren leva son regard en direction de Kiera. Il hésita, avant de reprendre la parole. « Je sais. Je n’aurai pas dû m’en mêler. » il en avait conscience. Pourtant, sa voix était dénuée de regrets.

Si Soren exprima son inquiétude à l’égard du jeune homme, Kiera le rassura en lui affirma que Last n’était pas un garçon fragile. Il acquiesça, se contentant de cette réponse. Quelques instants s’écoulèrent, durant lesquels Soren hésita longuement. Puis, il admit qu’il n’aurait pas dû intervenir. Et même s’il ne le regrettait pas, il comprenait parfaitement que la jeune femme ne prenne pas d’un bon œil sa soudaine intervention. Kiera attendit quelques instants, et pressa une compresse sur un hématome, arrachant une grimace à Soren. Elle confirma les propos du jeune homme. Toutefois, sa voix manquait de conviction. Elle retira doucement la compresse, et avoua finalement qu’elle avait apprécié son geste. Soren resta stupéfait, alors que la jeune femme avait détourné son regard. Puis, elle plongea son regard dans le sien, et lui adressa un doux sourire. Puis, elle le remercia. Pour la première fois depuis longtemps, l’éternel Blondie dont elle le gratifiait si souvent avait disparu de sa bouche, chassé par la douceur et la reconnaissance qui se dessinait sur ses traits. Déstabilisé, Soren détourna finalement son regard du sien. Il frotta machinalement sa pommette du dos du pouce. « De rien. »

Les compresses et la pommade revinrent rapidement à la charge, mettant un terme à ce petit interlude. Soren soupira quand elle lui confirma qu’elle en avait terminé avec son visage. Toutefois, une moue désapprobatrice passa sur ses lèvres quand elle lui ordonna d’enlever son haut. Il allait protester, mais Kiera fut plus rapide. Elle lui posa un ultimatum : soit il enlevait son haut, soit elle lui enlevait son haut. Soren se renfrogna. Il savait que Kiera en était capable, tout comme il savait que la jeune femme oublierait toute forme de délicatesse si elle devait le faire elle-même. Son abdomen encore douloureux le dissuada de jouer à ce petit jeu, désamorçant dans l’œuf la tentative d’insurrection de Soren. Il soupira et s’exécuta, retirant finalement son haut. Kiera n’ajouta rien, et reprit les soins.

Constatant les nombreux coups qui parsemaient son torse, Kiera lui suggéra de faire économie de ses forces, proposant de faire appel à un mage blanc dès le lendemain. Soren la regarda d’un air intrigué. Toutefois, les derniers événements de la journée avaient eu raison de sa curiosité concernant l’entourage de Kiera. Quand elle rangea finalement son matériel, Soren se rhabilla négligemment. Il ne sentit pas le regard de la jeune femme sur lui, jusqu’à ce que celle-ci lui adresse la parole. Il imagina que la jeune femme plaisantait, et s’apprêta à lui répondre sur le même ton. Mais quand il croisa son regard, sa réponse resta coincée dans sa gorge. Elle le fixait avec une intensité rare, et particulièrement éloquente. Puis, elle chassa cette idée en suggérant qu’il n’était pas en état, avant de lui adresser un clin d’œil. Soren se renfrogna avant même de s’en rendre compte. Kiera lui souhaita bonne nuit, et s’allongea sur son lit de fortune. Soren, qui n’avait toujours pas articulé la moindre réponse, délia enfin ses lèvres. « Ouais. » il s’allongea, le regard dans le vide.

Il ne s’était pas vraiment posé de question. Et s’il était complètement honnête avec lui-même, il avait peut-être préféré éviter de le faire. Il inspira profondément, incapable de fermer l’œil. S’il pouvait mettre la soirée de la veille sur le compte de la fatigue, de l’adrénaline et d’un excès d’émotion, qu’en était-il de soir ? Soren inspira, expira, et pesta discrètement entre ses dents. Puis, il réalisa qu’il n’avait aucune envie de réfléchir.

Il enjamba Kiera, et plaqua ses mains de chaque côté de son visage. Il la fixa, plus gêné qu’il ne l’aurait imaginé. Puis, il détourna légèrement le visage. « Ça ira. Je peux tenir. » puis, il posa son regard dans le sien. Une partie de lui avait du mal à assumer ce qu’il était en train de faire.