Les sabots d’Ixion martelaient le sol avec force. Le roulement de ses longues jambes poussaient la chimère toujours plus vite, plus loin et ce, malgré le terrain escarpé. Le cheval n’avait pas l’agilité d’Ifrit mais il n’avait pas à rougir pour autant. Quelque part, Ryme se demandait si cette ferveur n’était pas liée au fait que Cillian était là. Le destrier foudroyant avait toujours eu une forme de jalousie envers lui, sans qu’elle ne puisse réellement savoir pourquoi. L’Invokeure caressa l’encolure de sa chimère alors que celle-ci venait de franchir une gorge particulièrement dangereuse.

— Difficile à dire, je dois avouer que ton maître était assez énigmatique, je ne suis pas certaine de bien avoir compris tout ce qu’il avait envie de nous communiquer. La seule chose sur laquelle il a été clair était l’utilisation d’Hadès qu’il considérait comme étant néfaste, répondit Ryme lorsque Cillian eût fini de formuler ses réflexions.

Dans les cieux, Valefor changea brusquement de direction. Ixion piétina un peu les gravats qui s’amoncelaient tandis que l’ancienne Voix commençait à ressentir les effets de la fatigue sur son corps. Une migraine pulsait derrière son œil droit mais elle n’avait pas le droit de faillir. Pour être à la mesure de ces compagnons, il fallait qu’elle devienne plus forte, plus résistante.

— Accroche-toi bien, je crains que le chemin devienne un peu plus mouvementé, ordonna-t-elle devant le canyon qui se profilait.

D’un saut, ils gravirent un relief avant de s’engouffrer dans les boyaux plus affinés de la blessure infligée par Sin. Le passage devint si fin qu’il en était presque difficile de circuler sur le dos de la chimère. Le Valefor de Garan avait disparu derrière un nuage : ils n’avaient plus d’autres choix que de poursuivre. Le bruits de la marche d’Ixion résonnait dans la gorge profonde de la vallée décharnée. Au travers de leur lien spirituel, Ryme sonda l’apparition pour savoir s’ils faisaient bonne route ; un hennissement positif lui répondu alors que le chemin reprenait des proportions plus large.
Au terme de la voie, un temple solitaire se dressait au dessus d’une vaste gueule béante et sombre. Ixion botta dans un caillou qui chuta à l’intérieur, jamais ils n’entendirent le bruit de l’impact. Des piliers entouraient le cratère et de ceux-ci, des câbles filaient droit vers la structure qui s’érigeait au milieu du trou. Une vaste plateforme supportait un édifice immense, vraisemblablement un temple si l’on en croyait les motifs religieux qui décoraient les pierres. Une fois le pont franchi, des routes circulaient tout autour du bâtiment, allant vers le haut ou vers le bas. Alors que d’ordinaire, on aurait pu entendre le chant du Priant, il n’y avait qu’un silence triste qui régnait là.

— Yevon, comment est-ce que pareil édifice a-t-il pu être oublié ? murmura Ryme plus pour elle que pour obtenir une vraie réponse, le priant est-il seulement encore là ?

Quelques macaques, qui n’étaient pas sans rappeler ceux qui avaient élus domicile dans la région des Mycorocs, jouaient sur les câbles en parfait équilibriste. L’Invokeure descendit du dos d’Ixion et flatta la chimère pendant quelques instants avant de lui demander de se retirer.

— Je n’étais pas sûre que le pont supporte son poids. Je ne voulais pas le dire devant lui, Ixion est assez facile à vexer, articula-t-elle avant de s’approcher de Cillian pour lui offrir son bras.
— Tu as l’air épuisé. Si comme je le pense, le temple est désert, nous pourrons nous reposer.

Sa phrase s’accompagna d’un sourire chaleureux juste avant que Ryme n’amorçât la traversée vers l’entrée du temple. La grande porte était grande ouverte. L’écho des voix de Garan et Gordias résonnait déjà entre les murs. Sans qu’elle ne le remarquât, les jambes de Ryme se pressèrent. Son coeur oscillait entre la crainte et la curiosité.

— Est-ce que l’on refermes la porte ? demanda-t-elle à Cillian alors qu’ils franchissaient le seuil.

A l’intérieur, les torches avaient été réactivées et brûlaient d’un feu magique orangé. Les statues antiques regardaient vers le centre. Ryme observa celles qui étaient supposées honorés les Grands Invokeurs. Il manquait celle de lady Yocun tout comme celle de sir Ohalland. Seul sir Gandof était représenté. La fresque dépeignant lady Yunalesca et son époux, Zaon, avait été réalisé dans un style que l’on avait pas vu depuis de nombreuses années dans les temples. Cet endroit devait être abandonné depuis des centaines d’années. Elle gravit les marches qui menaient à la salle de l’épreuve, le mécanisme n’était pas endommagé mais la couche de poussière confirmait ce qu’elle passait.

— Je suppose que nous serons tranquilles pendant un bon moment. Nous sommes sans doute les premières personnes à venir ici depuis des dizaines d’années si ce ne sont des centaines, déclara-t-elle en retournant vers ses Gardiens.
— La magie des bouquets de fleurs séchées commence à s’estomper, c’est pour dire… Ces enchantements sont supposés ne jamais avoir de fin, ajouta Garan en se gratta la joue, les chambres sont spartiates selon nos standards mais les sceaux d’entretien ont tenus. Nous devrions pouvoir nous reposer ici.
— Gordias, connaissez-vous cet endroit ?

Le vieux prêtre, soucieux, se contenta d’un geste de la tête pour répondre à la négative. Ryme soupira et reporta son attention sur l’Al Bhed qui était étendue sur le sol. Inerte, elle paraissait bien plus jeune que ce que la colère avait montré. Etait-elle entré avant ou après Cillian, dans la Via ?

— Que fait-on à propos d’elle ? On ne peut pas la laisser dans cet état, je vais la soigner mais… Après, que fait-on ? Pensez-vous qu’elle risque de nous attaquer ? questionna Ryme en croisant les bras sur sa poitrine.
— En tout cas, j’ai l’impression qu’elle avait plus d’expérience dans le maniement d’Hadès. Peut-être qu’elle pourra nous venir en aide pour mieux le comprendre et peut-être même t’aider à pouvoir comprendre les mécaniques de ce pouvoir, supposa l’Invokeure en se retournant vers Cillian.

La jeune femme poussa ensuite un lourd soupir. Voyager, prier, mourir, ces trois aspects de la vie d’Invokeur.e, Ryme en avait toujours eu conscience. Elle ne se serait jamais douté qu’autant puisse lui arriver. Ni combien est-ce que son existence puisse la combler, de cette façon.

Bien que cela lui coûtait de l’admettre, Cillian avait raison. Ils ne pouvaient pas risquer de se retrouver à la merci de l’Al Bhed. Nikkey avait l’air épuisée de ce combat mais ils ignoraient tout de sa capacité de récupération. Mourir d’un coup de lame, en plein coeur de la nuit, n’était assurément pas une façon de partir honorable ni désirable.
Agenouillée devant la guerrière, Ryme lui portait les premiers soins. Elle ne pourrait certainement pas guérir sa jambe brisée mais elle pouvait au moins la remettre dans son axe naturel et, avec l’aide de planches de bois qui traînaient dans le temple, elle fabriqua une atèle tandis que Gordias, Garan et Cillian divisait sur la marche à suivre. Quels genre de pouvoir Hadès pouvait-il bien avoir pour mettre un corps dans cet état ? Invoquer était, certes, une chose difficile mais cela n’était jamais au détriment de l’hôte. La chimère funeste ne semblait guère se soucier de ce genre de considération lorsque les combats s’engageaient. Qu’arriverait-il a Cillian si elle prenait le dessus ? Les créatures qu’elle pouvait invoquer ne faisait pas le poids face au squelette.
Le souvenir douloureux de la perte d’Ifrit lui serra la gorge. Ryme porta une main à sa poitrine. La vibration du feu était encore là, quelque part mais si faible que l’on pourrait croire la flamme éteinte.

— Faites attention en nouant la corde, il ne faudrait pas que cela comprime trop la circulation du sang. Sinon, elle risque, au mieux, d’avoir des difficultés à cicatriser, au pire… lorsqu’on la détachera, les toxines des blessures pourrait l’empoissonner et je ne pourrais rien faire pour elle, expliqua la mage en indiquant les points de pression à éviter, je vais m’occuper des blessures de Cillian. Appelez-nous si vous avez besoin d’aide.

Avec difficulté, elle se releva et s’avança dans la direction d’une des chambres. Ryme entendit Garan grommeler quelque chose sans pour autant comprendre ce qu’il avait articulé. Croyait-il vraiment qu’ils allaient… ? L’Invokeure chassa cette idée en secouant la tête. Elle réalisa soudain combien elle était sale, sa robe déchirée et ses cheveux en bataille. Une bien triste apparence pour celle qui était autrefois connue sous le nom de ‘La Voix Rouge’.
Elle poussa la porte de l’alcôve qui se referma mais pas complètement – comme un gage de bonne volonté de sa part, une assurance que ni Garan ni Gordias les trouverait en plein ébat. Le mobilier n’avait pas bougé et était intact. Comme toutes les chambres d’accueil des lits entouraient un cristal de magie qui trônait au centre de la pièce. Ryme l’alluma en passant sa main dessus et, aussitôt, une agréable chaleur commença à envahir la pièce. L’odeur de la poussière chaude lui titilla les narines mais, cela était sans importance.

— Je crois que ton frère nous prend vraiment pour des animaux, soupira-t-elle en s’approchant de Cillian, les prêtres n’ont pourtant pas fait vœu de célibat, je me demande bien pourquoi il est aussi aigri.

L’Invokeure laissa tomber son manteau sur une des paillasses et y laissa également son bâton. Elle se pinça ensuite l’arête du nez. L’adrénaline de l’affrontement avec l’Al Bhed se dissipait, la laissant juste fatiguée et prompt à l’agacement.

— Je veux dire, pour l’amour de Yevon, on vient tout juste de réchapper à… A… elle hésita sur le mot à employer mais n’en trouva pas un plus adapté, à la mort ! Et il croit sérieusement que l’on va se sauter dessus à la première occasion ? S’il n’était pas mon Gardien, je lui botterais les fesses !

Ryme réalisa qu’elle était en train de parcourir la pièce en long et en large, alimentant elle-même le feu sombre qui obscurcissait son jugement. Elle s’approcha d’un lit vacant et s’y installa avant de tapoter le matelas, proposant silencieusement à Cillian de la rejoindre.

— Pardon, la fatigue me rend un peu grincheuse, moi aussi, s’amusa-t-elle en se fendant d’un sourire timide, est-ce que tu as mal à un endroit en particulier ?

Avec délicatesse, elle commença à l’ausculté. En premier, elle vérifia son crâne, enfouissant ses mains sous sa chevelure devenue longue et palpa avec attention la moindre bosse ou cicatrice qui se dessinait sur la pulpe de ses doigts. Son toucher glissa au niveau de la gorge et du cou.

— Yevon soit loué, tout semble en ordre par là. Heureusement que tu as la tête dure, plaisanta-t-elle, peux-tu avoir la gentillesse de retirer ta chemise pour que je continue à t’examiner ?

Après qu’il eût obéit, Ryme continua à détailler la moindre parcelle de peau. Au niveau de la taille, elle remarqua une plaie qui avait besoin de plus d’attention. Elle n’était pas vilaine comme une coupure ou une fracture ouverte mais l’hématome violacé ne présageait rien de bon.

— Allonges-toi, s’il te plaît, ça sera plus facile pour moi de te soigner, ordonna l’Invokeure qui s’installa à genoux devant le lit.

Une fois qu’elle fut dans une position confortable, Ryme apposa ses mains sur la zone et laissa la magie se déverser de ses paumes jusqu’aux muscles froissés. La chaleur l’entoura, rassurante et enivrante. Elle n’osait jamais le dire mais ce genre d’instants lui rappelait toujours cette étrange période de l’hôpital. Amis mais pas encore amants, et ce malgré son coeur déjà conquis, ils prenaient soin de l’autre. Peut-être était-ce la proximité avec Bevelle qui lui rappelait ces journées ?

— Je n’aurais jamais cru que l’on croiserait quelqu’un capable de t’infliger des blessures qui m’inquiéteraient. Mais je suppose que j’ai été mal habituée avec les personnes de Besaid, glissa Ryme pour faire la conversation, après avoir un peu voyagé, je réalise combien ils n’étaient pas très fort. En prenant une épée, j’aurai peut-être pu les vaincre, en y mettant un peu de bonne volonté !

La dernière partie était un mensonge, une vantardise sans réelle hubris, dans le but de le faire rire ou au moins, sourire. Malgré le voyage et la situation, Ryme avait envie de retrouver ce lien de complicité unique, vivace, qu’ils partageaient autrefois et qui ne pouvait s’établir que dans le traintrain quotidien.

La fatigue était un des premiers signe que quelque chose n’allait pas. Oh bien sûr, entre l’énergie nécessaire pour invoquer Hadès mais également combattre normalement, celle-ci était tout à fait légitime. Mais, il valait mieux être prudent, surtout que parfois, les efforts liés aux chimères pouvaient prendre des formes physiques.
Ryme remarqua l’amorce d’un sourire narquois lorsqu’elle lui demanda d’enlever sa chemise mais ne s’amusa pas à aller sur ce terrain. Il était inutile de donner du grain à moudre au moulin de la jalousie. Du reste, la jeune femme ne comprenait pas : pouvait-on réellement envier leur situation ? Leur amour les avait conduit à marcher le long d’un chemin périlleux où l’un avait perdu sa sanité ainsi que ses souvenirs lorsque l’autre avait sacrifié sa dignité ainsi que son avenir. Cependant, l’heure n’était pas à ces réflexions funestes. Bien au contraire.

Cillian plaisanta en évoquant l’amorce lestée du bâton d’Invokeure que Ryme utilisait. Il était vrai que plusieurs parti de l’objet pouvait être douloureux si l’on savait s’en servir. Ce qui n’était pas réellement le cas de l’ancienne Voix. Néanmoins, elle se fendit d’un rire. Lorsqu’elle voulut répondre, ses mots s’évanouirent parce qu’il lui prit la main avec tendresse. La magie curatrice se para aussitôt d’une aura plus délicate, moins brutale. Les tissus retrouvèrent leur apparence normale et immédiatement après, le guerrier se redressa pour enserrer Ryme. Il se laissa retomber contre l’antique matelas, soulevant une nappe de poussière qui provoqua quelques éternuements chez l’Invokeure.
Elle ferma les yeux, écoutant le rythme certain du coeur qui battait sous ses oreilles. Aussi longtemps qu’elle pourrait entendre cette mélodie, tout irait bien. Toute la fatigue que Ryme avait accumulée se dissipa à mesure où il la cajolait, sans doute plus que de raison.

Cependant, lorsqu’il évoqua que sa présence suffisait à ce que rien de mal ne puisse arriver, de multiples contre-exemple lui vinrent aussitôt en tête. Ryme se garda bien de dire quoi que ce soit, cependant, de peur de briser la magie du moment. Petit à petit, la vraie teneur de la conversation se dévoila. Cillian avait besoin d’être rassuré. Elle n’avait pas à validé ses choix. Mais, il avait besoin de savoir que quel que soit les décisions qu’il prenait, quelles qu’en soit les raisons, qu’il était assuré de son affection. D’un geste tendre, elle caressa son visage encore marqué par la fatigue du combat. Ils avaient parcouru tant de chemin, que ce soit ensemble ou séparément. Malgré tout, ils se retrouvaient inlassablement.

— Tu as le droit d’avoir peur, de ne pas vouloir y retourner, murmura-t-elle, cela ne veut pas dire que ta décision était un mauvais choix. Et puis, je pense que en vue de la colère que Nikkey avait en elle, cette expédition n’aurait jamais pu connaître une issue satisfaisante.

Elle marqua une pause, posant ses mains à plat sur le torse de son partenaire avant d’y appuyer son menton.

— Toutes les batailles ne sont pas faites pour être combattues. Surtout pas par toi. Je sais que tu as envie, plus que quiconque, d’aider les autres et de corriger les erreurs de ceux qui ont du pouvoir, enchaina-t-elle, mais je ne pense pas que cela doit être au détriment de ta propre vie. Ou de tes aspirations.

Un air soucieux passa sur le visage de Ryme. Formuler ses pensées d’une manière sincère n’était pas un exercice évident.

— A ta place, je ne sais pas ce que j’aurais fait, finit-elle par avouer, je suis bien incapable de me mettre ne serait-ce qu’une seconde dans tes chaussures. Tu as vécu tant de choses… Des épreuves que je suis bien capable d’imaginer. Je te connais mais…

Ses doigts glissèrent sur son torse, allant de cicatrices en cicatrices.

— Sans pour autant réellement pouvoir dire ce que tu penses. Tu n’es pas un inconnu, loin de là. Mais je crois qu’il y a une partie de toi que je ne pourrais jamais réellement saisir. Je l’ai accepté lorsque nous nous sommes retrouvés à Kilika.

Une certaine amertume roula sur sa langue lorsqu’elle songea à l’homme qui était mort dans la Via. Le Cillian dont elle était tombée amoureuse était mort là-bas, massacré par les machinations des expiateurs de Yevon. Cela ne voulait pas dire qu’elle n’éprouvait rien pour la personne qui partageait sa vie, il avait seulement fallut faire le deuil d’un amour qui ne pourrait plus jamais revenir.

— Même si tu doutes, même si tu as peur, même si tu te sens perdu, je t’aime. Et je t’aime d’autant plus que tu n’as pas peur d’en parler, de me dévoiler ces morceaux qui te rongent, déclara-t-elle en passant une de ses mains dans la chevelure moucheté de blanc qu’il arborait à présent.

Elle sourit mais au fond de son regard, il y avait un voile de tristesse.

— Tu sais, moi aussi, j’ai peur. Peut-être pas tout le temps, mais presque, souffla-t-elle.

Ryme humecta ses lèvres, se laissant quelques secondes avant de trouver les mots justes.

— J’ai peur que nous n’arrivions pas à briser le cercle de malheur qui plombe l’église. J’ai peur de perdre Garan et Gordias. J’ai peur de te perdre. Et plus que tout, j’ai peur qu’il n’existe pas une fin heureuse pour nous.

Elle poussa un souffle amusé pour ne pas perdre la face.

— De plus en plus, alors que l’on avance sur ce chemin, je ne vois pas comment est-ce que nous pourrions avoir notre petite maison à Besaid. Ou comment est-ce que l’on pourrait fonder une famille, vivre en paix pour le restant de nos jours. J’ai la cruelle impression que le chemin se détermine que de deux façon. Ta mort ou la mienne. Et ça me terrifie bien plus que tout le reste.

Il semblait aussi optimiste qu’elle était amère. Mais, peut-être était-ce pour garder la face ou ne pas la pousser un peu plus vers l’abysse. A bien des égards, le doute était un poison bien plus virulent que des sortilèges corrosifs. Cependant, cela fonctionnait. Les caresses et les paroles pleine de bravade que Cillian offrait à Ryme apaisaient un peu les craintes qu’elle nourrissait. Oh, elle ne disparaissait pas – bien sûr – mais cela suffisait pour la réchauffer. Regarder ailleurs que vers la mort était comme un rayon de soleil dans la brume.
D’autres alliés, cela semblait fou et pourtant… Peut-être que la solution se trouvait-là. D’autres élèves du maître énigmatiques ; d’autres Voix peut-être. « L’union fait la force », disait le dicton. Cependant, existait-il une puissance capable de s’opposer à la tyrannie de l’église, à son hypocrisie ? Et surtout, étaient-ils prêts à payer le prix pour faire en sorte que ton s’achève enfin. S’il semblait déterminé, l’Invokeure nourrissait encore quelques réserves. Peut-être que lui n’estimait pas sa vie au-dessus des autres mais… Ryme ne pouvait s’empêcher de le faire. Pas pour elle, non. Mais à ses yeux, Cillian valait bien plus que tout le reste. Tout comme pour la délivrer il avait été prêt à marcher le long de la Via, pour lui, elle était prête à de grands sacrifices.

— Essayons de ne pas en arriver là, murmura-t-elle alors que leurs lèvres allaient se rencontrer.

L’intervention de Garan avorta leur étreinte qui se résuma à un bref contact. A regret, Ryme se releva avec l’aide de son protecteur. Sa jambe, engourdie par le froid et sa position lui faisait mal. Elle réprima une grimace alors qu’elle se déplaçait plus lentement qu’à l’ordinaire. Le muscle fantôme semblait pulsé dans sa cuisse. Sa gorge se serra. C’était un autre problème qui se présentait à eux : serait-elle assez forte pour continuer la route à ce rythme ? Pour combattre ? D’un geste elle chassa une mèche vagabonde ainsi que ces pensées défaitistes. Il fallait regarder vers une aube nouvelle et non le crépuscule. Il lui déclara son amour, son coeur se gorgea de ce sentiment absolu et vrai. Un sourire effleura ses lèvres. Ryme serra la main de Cillian. Aucun mot n’aurait pu décrire avec justesse ce qu’il partageait, la saveur de ce doux secret.

Dans la cuisine – ou plutôt ce qu’il en restait – des coussins avaient été installés. L’Al-Bhed dormait encore sur certains. Elle semblait sereine, en transe pour récupérer toute son énergie. Gordias s’échine à cuisiner malgré tout, à partir de conserve encore bonnes et des rations qu’ils avaient emportés avec eux. Les réserves tendaient à s’amenuiser. Bientôt, il faudrait qu’ils aillent à Bevelle, c’était inévitable.

— Je suppose que l’on va attendre qu’elle se réveille, soupira Ryme en regardant Nikkey, nous avons des questions à lui poser. Et peut-être serait-il judicieux d’en faire une alliée.

L’Invokeure marqua une pause.

— Nous voulons tous la même chose. Que l’église change et que Sin disparaisse. Nous ne pourrons pas accomplir ni l’un ni l’autre seulement à nous quatre. J’ai bien réfléchis à la question. Plusieurs options s’offrent à nous mais beaucoup sont des impasses.

Elle attrapa une tige fanée depuis longtemps et dessina des formes dans la poussière. Rien n’avait de sens mais cela l’aidait à articuler ses pensées.

— Nous pouvons dores et déjà écarté une attaque frontale sur Bevelle. Et nous ne pourrons certainement pas accomplir quoi que ce soit de bien pour la population si nous sommes jugés comme traites là-bas. Vous conviendrez aussi qu’attaquer par la Via n’est pas non plus une bonne idée.
— Alors quoi ?
— Je propose que nous terminions notre voyage jusqu’à Zanarkand dans un premier temps. Demain, j’irai au temple de Shiva avec l’un de vous pour recevoir sa bénédiction. Nous devrons ensuite nous rendre à Bevelle. Mais là-bas, nous irons simplement payer nos hommages au Priant. Nous traverserons ensuite la Plaine Félicité, nous franchirons le mont Gagazeth. Et à Zanarkand, j’obtiendrais l’Ultime Chimère.
— En quoi cela sert-il nos plans ? Ce n’est qu’un pèlerinage comme un autre, grommela de nouveau Garan.
— Je suppose qu’à partir de là, il y a deux possibilités. Si Sin se montre dans la région, je le combattrais. Que ce soit par ma victoire ou ma défaite, tous les yeux seront tournés vers le combat, expliqua-t-elle avant de se retourner vers Cillian, à ce moment-là, il serait opportun de frapper pour mettre fin à l’hégémonie de Vilhatt.
— Et si Sin ne se montre pas ?
— Je suppose que nous devrons faire les choses à l’inverse. Nous attaquerons, les exposerons pour ensuite aller à la rencontre de Sin avant que les expiateurs ne nous retrouvent. La victoire lavera nos pêchés, l’église n’aura pas d’autres choix que de nous pardonner.

Un silence retomba sur la salle.

— Dans tous les cas, il faut qu’au moins l’un de nous vive. Pour que nos efforts ne soit pas oublié ou que le clergé modifie l’Histoire à leur avantage.
— Et si tu n’es pas assez forte pour obtenir l’Ultime Chimère ?
— Je le serais.
— Ryme… Je ne veux pas être désagréable, mais tu es sûre de toi ? demanda Garan.
— Je n’ai pas d’autres idées. Qui pourrait-on convaincre de combattre avec nous ? Les Bannisseurs ? Ils sont encore plus religieux que certains prêtres. Les Al-Bheds ? Cette bataille n’est pas la leur. Les Voix ? Ce sont des personnes qui ne savent pas se battre, j’en suis le parfait exemple.

Les mains serrés contre son bol de porridge, Ryme semblait aux abois. Elle se savait faible et ce n’était un secret pour aucune personne dans le groupe. Mais Zanarkand et la promesse de recevoir l’Ultime Chimère lui paraissait être la seule et unique solution pour triompher.

Ryme écouta avec attention les propos de Cillian. Et, s’il y avait des choses intéressantes dans les propositions qu’il formulait, certaines témoignaient du manque de soin qu’il avait apporté aux cours de religion dispensé par les écoles et temples. Songeuse, elle laissa Garan se chargé de combler l’ignorance de son petit frère, trop occupée à réfléchir à cette possibilité de rester à Bevelle.

— Ah lalala, ça se voit que tu préférais passer ta vie sur les bateaux plutôt que d’aller à l’école, ronchonna le prêtre, lorsque tu vas à Zanarkand, tu obtiens cette chimère comme n’importe laquelle. C’est le fait de l’invoquer qui te coûte la vie. Un fois l’Ultime Chimère acquise, si c’est un succès, il nous faudra retourner dans un endroit sûr pour combattre Sin. Une fois l’invocation lancée… La magie consommera Ryme, et probablement ceux qui seront dans les parages. Mais, même si elle est normalement à destination du fléau, rien n’empêche un Invokeur.e de déchaîné sa puissance.

— Qu’est-ce que tu sous-entend, Garan ? demanda Ryme en fronçant les sourcils.

— Je vous dis simplement que l’Ultime Chimère est une créature comme les autres. Elle répond au dernier ordre formulé lors de son invocation. La plupart des gens pensent à battre Sin. Je dis simplement que tu pourrais te retourner contre Bevelle, si tu le veux.

La jeune femme le regarda avec des yeux ronds. Jamais elle n’aurait songé que son Gardien puisse lui proposer pareille extrémité. Sa gorge se noua. C’était une solution tentante. La créature avait la puissance de rasé Sin de la carte et ce, d’un seul coup. Si son énergie se délestait sur le temple de Bevelle, il était certain que ce dernier volerait en éclat, décimant les organisations religieuses fallacieuses qui s’y cachait mais également la Via. L’attention de Ryme glissa sur Cillian. Elle essayait de savoir ce qu’il pensait de cette possibilité mais, elle ne sut pas lire son visage.

— Je suppose que c’est une solution, finit-elle par dire, nous pourrions… L’envisagé si l’idée de Cillian ne fonctionne pas. Normalement, il faut attendre que Sin soit près d’ici pour l’attaquer avec l’Ultime Chimère. Pendant ce laps de temps, nous pourrions aller à Bevelle et voir si avec mon reste d’influence, je peux faire en sorte de répandre notre message.

Ryme reposa son bol devant elle, le ragoût à peine consommer. Elle rassembla ses genoux sous son menton et resserra un peu la pelisse qui réchauffait son dos. Le maigre brasier ne suffirait jamais pour réchauffer ses os.

— Faisons ça. Nous irons au temple de Shiva puis nous ferons un rapide crochet par Bevelle. Là-bas, je préférerais que l’on ne se sépare sous aucun prétexte…

Les raisons étaient nombreuses mais celle qui la poussait à formuler ce souhait était sans doute la plus arbitraire de toutes : la peur. Ryme craignait de voir Vilhatt, que le haut-prêtre ordonna la capture de ses compagnons pendant qu’elle serait dans la chambre du Priant. Le temple ne servait pas uniquement de refuge à Bahamut, il était le bastion de Yevon. Le phare dans la nuit, supposé guider les fidèles.

— Puis, nous traverserons la Plaine. Ensuite, il faudra que nous puissions gravir la montagne sacrée. La suite, nous venons d’en discuter.

Ryme releva le nez, feignant assurance et confiance. Au creux de son ventre, il existait une pulsation, un leitmotiv sans commune mesure : elle ne voulait pas mourir ni voir mourir quelqu’un dans cette pièce. Et pourtant, pour que les lendemains soient heureux, il lui semblait que cette option était la seule qu’il leur restait.

— J’espère que nous aurons le temps de faire assez de bonnes choses pour que nous n’arrivions pas à l’extrémité suggérée par Garan, soupira l’Invokeure. Il faudra que nous nous fassions le plus d’alliés possible. Au sein de l’église, dites moi si je me trompe Gordias mais je pense que cela risque d’être compliqué. La plupart ont peur de Vilhatt ou partage ses goûts, ses ambitions. La population à l’habitude d’écouter avec diligence : quiconque résiste se voit puni d’une manière ou d’une autre.

— Vous n’aviez pas un soutien parmi les rangs de l’église ? s’enquit alors Garan, l’homme qui m’a contacté pour me prévenir de la situation, par exemple.

Une vague de haine presque toxique déferla sous la peau de Ryme. Cet homme. Celui qui avait voulu la tête de Vilhatt et ne l’avait pas eue. Celui qui avait condamné Cillian à la Via. Celui qui avait chargé Gordias de l’escortée. Ses dents se plantèrent dans la pulpe tendre de ses lèvres. Le goût du sang explosa dans sa bouche. Ryme se rapetissa tellement qu’il était inutile de lui demander ce qu’elle pensait à ce propos. Soudain, on entendit une toux venir du tas de coussins. L’Invokeure alla immédiatement au chevet de l’Al-Bhed.

— Vous parlez de… Vous parlez de monseigneur Arbert ? demanda-t-elle entre deux quinte de toux.

Ryme ignorait le nom du diacre, alors elle leva le nez vers Gordias qui par son silence sembla confirmer les propos de Nikkey.

— Il m’a fourni un plan de la Via. Et j’ai écouté votre plan… A quoi ça sert de combattre la mort par la mort ?