C’était idiot, mais devant le doute de l’assemblée, Ryme s’était un peu renfrognée. Ne lui faisait-on pas confiance ? N’avait-elle pas prouvé qu’elle était capable de réflexions ? Certes, elle n’avait peut-être pas les idées les plus rutilantes ou sagaces, mais cela lui fit tout de même un pincement au cœur. Parfois, elle avait le sentiment que son seul soutien était Cillian. Lorsque ce dernier évoqua la possibilité d’étrangler Vilhatt lui-même, l’Invokeure retint un frisson. Le ferait-il vraiment, si elle le lui demandait ? À l’occasion, comme maintenant, l’intensité de leur relation lui donnait le vertige. Ou peut-être était-ce la fureur sans fin de son partenaire, qui lui conférait cette curieuse impression.
Ryme poussa un soupir et chassa une mèche folle de son visage. Une nuit de plus pour réfléchir n’était peut-être pas une mauvaise chose. Si demain matin, rien de nouveau n’était apporté, la journée se déroulerait selon le plan qu’elle avait énoncé. À ses yeux, il était inutile de perdre davantage de temps. Peut-être qu’elle était déjà attendue au temple de Shiva ; peut-être qu’une escorte patienterait sur la route de Bevelle. Qui pouvait savoir ce que le haut prêtre des Voix connaissait ou non. Il était pareil à une ombre menaçante, se cachant derrière tout et rien à la fois. Il était l’ogre des contes et bien plus encore.
— Je suppose qu’un temps de réflexion supplémentaire ne fera de mal à personne, ici, confirma Ryme.
Son regard glissa vers Nikkey qui semblait toujours toiser Cillian avec défiance et mépris, comme si quelque chose en elle la poussait à le défier. Peut-être que les deux Hadès sentaient la présence de l’autre et n’appréciait guère cette proximité ou la concurrence que cela induisait. Cependant, au bout de quelques minutes, lorsque l’Al-Bhed remarqua que l’attention de Ryme ne déviait pas, elle lui accorda une œillade.
— J’espère qu’en dépit des circonstances, nous pourrons compter sur vous, articula la jeune femme avec soin avant de reprendre et de conclure. Nous n’avons pas besoin d’être amis pour être alliés.
Son interlocutrice se contenta d’un sourire en coin en guise de réponse. Ryme ne laissa rien paraître, mais la fatigue psychologique lui pesait sur les épaules. Elle aurait tout donné pour un bain et un repas qui se composait d’autre chose que des boîtes réchauffées.
— Réfléchissons alors. Puisse Yevon nous apporter un peu de sagesse durant la nuit, conclut Garan en se levant.
L’ancien prêtre commença à rassembler les paillasses pour la nuit. Sous le coup de l’urgence, personne n’avait songé à monter les tentes à l’intérieur du bâtiment. Cependant, les sacs de couchage et les matelas de mousses légères recouvrirent rapidement le sol comme s’il s’agissait d’une fête entre jeunes du village de Besaid.
Le braséro fut réduit à presque rien et ce fut le signal que tous devaient rejoindre leur lit. Les deux religieux ne se firent pas prier quand Nikkey, elle, jacassa comme un perroquet mécontent de sa situation, évoquant l’impossibilité de dormir à cause de la corde qui enserrait ses poignets. Au bout de quelques minutes de bavassements incessant, Ryme jura apercevoir la babouche de Gordias volé dans la direction de la jeune femme. Un glapissement s’en suivit et le silence s’installa enfin dans la pièce.
Cependant, la léthargie tomba bien rapidement sur la pièce. La nuit n’allait être guère riche en pensées et plans. Mais il était difficile d’en vouloir à qui que ce soit. La journée, ainsi que celle qui avait précédé, avait été particulièrement rude. Une fois certaine de n’avoir entendu rien d’autre que le silence du sommeil dans la salle, Ryme se redressa sur sa paillasse. Dans la faible lueur du feu, elle observa les alentours. Juste en face, Cillian semblait lui aussi réveillé.
D’un signe, elle lui fit comprendre de ne pas faire de bruits avant de se glisser hors de son lit. Elle attrapa les quelques couvertures qui allaient avec le matelas ainsi que son oreiller et commença à s’éloigner. La porte manque de grincer cruellement alors qu’elle se faufilait hors de la salle.
Le grand hall dépouillé de chants et de fidèle lui parut encore plus vaste qu’à l’ordinaire. Elle se demanda quel Priant dormait ici et comment ce dernier avait été oublié. Bien avant qu’il ne dise quoi que ce soit ou ne se manifeste, elle sentit la présence de Cillian près d’elle et lui attrapa la main. À pas feutré, elle les mena vers l’entrée de la salle des épreuves.
— J’ai le coeur qui bat la chamade, s’amusa-t-elle. On a que des couvertures et des oreillers, je suppose qu’en matière de confort, il faudra être inventif.
La lueur dans son regard, mélange d’émerveillement et de luxure, lui donnait des airs mutins. Elle poussa la porte et aussitôt, les anciens mécanismes s’activèrent, faisant briller des globes lumineux faiblement. L’humidité courrait sur les murs tapissés de mousse.
— Sans personne pour nous mettre à l’épreuve, on a plus qu’à trouver la Chambre du Priant, affirma-t-elle en avançant.
La porte de l’alcôve se trouva facilement, mais une fois à l’intérieur, le vestibule n’était que poussière et oubli. Seules les mêmes lumières magiques brillaient faiblement. Derrière la grande pierre qui séparait les envoyés de Yevon et les mortels gisait le cristal dans lequel l’âme d’une personne avait été récoltée pour le bien commun.
— Vu comment ils ronflaient à peine endormi, je pense que leur besace a idée sera bien vide demain matin, commenta Ryme en laissant tomber édredons et oreillers au sol. Et moi, j’avoue que je n’ai pas envie de penser à ça.
En mimant la timidité, elle s’approcha et déposant ses mains sur le torse de son partenaire. Elle avait toujours rêvé qu’il viendrait la sauver sans jamais se douter qu’elle pourrait se sauver elle-même ; curieuse mécanique que la fable que Yevon servait quant au rôle de chacun dans ce monde.
— Après-demain, nous n’aurons plus droit qu’à des instants volés. Des petits gestes qui voudront dire beaucoup, comme juste s’effleurer la main, déclara-t-elle tout en laissant leurs paumes se caresser sans pour autant se rejoindre. On ne pourra pas non plus réellement discuter et encore moins s’embrasser.
Elle leva les yeux vers les siens.
— J’espère que cette nuit ne sera pas la dernière que nous passerons ensemble. Qu’il y en aura encore bien d’autres, sans un monde sans Vilhatt ! Mais… Juste au cas où, j’ai bien peur que cela soit notre chant du cygne.
Ryme posa son front contre la poitrine de Cillian. Elle écoutait son coeur battre.
— Aucune retenue. Aucune gêne. Aucun tabou ni interdit. Je suis à toi pour cette nuit et pour toutes les autres à venir.