Les masques étaient tombés, les langues se déliaient. Les sentiments qui avaient été mis en suspens étaient en train d’éclater de s’exprimer. Il y avait de la colère, il y avait de la douleur, des paroles blessantes. Jamais les deux amis ne s’étaient exprimés de la sorte, leur dispute ne se faisant jamais réellement. Mais maintenant, ils étaient adultes. Ils n’étaient plus des enfants insouciants. Ils devaient à présents affronter la vie, ses épreuves, ses difficultés. Ils devaient de confronter, se parler, et malheureusement, se blesser. « Alors pourquoi tu ne veux pas le croire que moi aussi, je suis inquiète pour toi ! Que je ne te considère pas comme une chose faible et fragile ! Tu sembles oublier que c’est toujours toi qui m’as protégé, alors pourquoi ne pourrais-je pas en faire de même hein ? Il n’y a pas que toi qui désire protéger les personnes qu’il aiment ! Arrête de toujours tout vouloir porter sur tes épaules me concernant ! » Il était rare de voir la jeune femme dans cet état, dans un mélange de colère et de tristesse. Elle n’avait pus se retenir, faisant face maintenant à son gardien qui était dans le même état qu’elle. Depuis petite, elle s’était toujours rabaissée, n’osant affronter les gens avec de la colère et de la rébellion, mais aujourd’hui, elle ne voulait plus agir ainsi. Elle voulait devenir forte et affronter ses problèmes avec cette même vigueur, cette même rage que n’importe qui d’autres.
Elle n’arrivait à contrôler ses paroles, elle n’arrivait à les rendre plus douce, il tendre, mais au fond, le voulait-elle vraiment ? La froideur avait envahi ses traits, comme il avait envahi son cœur et ce fut alors avec ce même ton qu’elle s’exprima, exposant enfin ce que son cœur ressentait depuis tout ce temps. Elle savait que cela ferait réagir le jeune homme, qu’il ne se laisserait pas faire et se montrerait plus incisive qu’elle, mais elle ne lâcha pas prise. À présent, elle ne baisserait plus les yeux, elle l’affronterait jusqu’à ce que les choses se règle entre eux. Jusqu’à ce que cette ambiance qui s’était installé disparaisse enfin. « Tu… Tu es injuste ! » Non il ne l’était pas, mais face à ses mots, Akemi n’avait rien trouvée d’autres à répliquer. Si elle avait menti depuis tout ce temps, c’était pour lui, pour le préserver, pour ne pas l’accabler. Il n’avait pas le droit de cracher sur son sentiment, sur son envie de le protéger de son propre destin. « Et toi ? Vas-tu vraiment vouloir me reprocher de tenir à toi ? » Elle était incapable de répondre à sa question, tant la peine avait meurtrie son cœur, à la place, elle préféra lui poser à son tour une question pour une autre. Elle ne savait pas s’il serait capable d’y répondre, mais sûrement qu’il serait comme elle, à préférer le silence pour ne pas se blesser plus que nécessaire. Elle n’arrivait plus à comprendre son gardien, elle ne comprenait pas pourquoi il continuait de la suivre, de l’accompagner vers cette destination vers la mort s’il s’y opposait farouchement. Pourquoi faisait-il tout cela, si son cœur lui criait non ? À bout, fatiguée par ses non-dits, la demoiselle exposa alors une à une ses questions, non sans retenir une voix qui se fit de plus en plus cassante dans sa gorge. Elle était submergée par l’émotion, l’incompréhension lui tenaillant le ventre. Elle voulait savoir, elle devait l’entendre, quitte à ce que la conversation s’envenime, elle s’en moquait, tant qu’elle avait sa réponse, le reste n’avait plus d’importance.
Ce fut dans un excès de colère que la jeune femme ne connaissait pas à son ami, que la réponse tomba, comme un coup de massue auquel elle ne s’attendait pas. Parce que c’est toi. Il… Il avait vraiment dit ses mots ? Se sentant déstabilisée, l’invokeuse n’avait pus s’empêcher de regarder son ami avec un de surprise, sa colère et sa peine semblaient s’être soudainement volatilisé. Il… Il parlait avec son sentiment d’amitié n’est-ce pas ? Il ne pouvait en être autrement pas vrai ? Incapable de s’exprimer, la jeune femme entendit un à un les mots du jeune homme qui semblait raisonner dans son cerveau en boucle. Parce qu’elle était sa seule raison, parce que c’était pour elle, qu’il faisait tout ça, depuis toujours. Quand son regard de l’épéiste se détourna de sa personne après cet aveu, la jeune femme se paralysa, incapable de bouger, incapable de réfléchir. Était-ce… Vrai ? Elle n’arrivait à le croire. Ses sentiments qu’elle avait toujours crus à sens unique… Semblait être partagés. Est-ce qu’elle ne se faisait pas des idées ? Est-ce que c’était réellement de l’amour ? Elle voulait y croire, mais… Si elle pensait que ses sentiments lui feraient plaisir, elle sentit à la place une profonde tristesse. Si c’était vraiment le cas, s’il l’aimait réellement, quel avenir pouvait-elle lui offrir ? Elle qui ne savait quand la mort viendrait la cueillir. « Tu… C’est… Impossible… Je… Je ne suis qu’une morte en sursis… Je… » Elle n’avait pas conscience de s’être exprimée à voix haute, elle n’avait pas conscience de ses larmes qui commençaient à doucement couler hors de ses yeux. Mais surtout, elle n'arrivait à contrôler ce rire nerveux qui la possédait à présent. « Quelle ironie n’est-ce pas ? Moi qui ai toujours voulus… Qui espérait entendre ses paroles… J’avais fini par décider que je devais garder mes sentiments parce que je n’avais rien à t’offrir comme avenir… Comme présent… » Son rire s’arrêta, son cerveau prenant maintenant enfin conscience de la situation. C’était pathétique. Elle était pathétique. Son corps se secoua alors, ses mains s’apposant contre son visage, comme pour masquer ses larmes qui étaient devenues des cascades incontrôlables. « C’est… Pas… Juste… Je… Pourquoi ne puis-je pas… » Les hoquets qui la submergaient l’empêchaient de parler convenablement. À ce moment précis, elle se détestait. Elle, ses décisions, sa maladie, ses choix. Elle avait enfin ce qu’elle désirait le plus au monde, mais elle avait l’impression qu’elle ne le méritait pas, qu’elle ne pouvait pas même l’effleurer. Cet amour qu’elle désirait tant, pourrait-elle lui offrir un quelconque bonheur ?