Pendant quelques instants, Ryme avait espéré que les ingrédients étaient encore mangeables. Un peu de brûlé n'avait jamais tué personne, mais lorsqu'ils constatèrent que le gigot était aussi carbonisé qu'une pierre volcanique de Besaid, il lui fallut admettre que, leur repas était complètement fichu. Les légumes n'offraient pas une meilleure mine. Si, de prime abord, ils s'étaient confondus dans une sorte de purée peu ragoûtante, cette bouillie collait aux parois de la marmite. Quelque part, la situation était amusante et puis, ils ne pouvaient pas vraiment s'en vouloir. Après tout, ils avaient mis en route la préparation du plat avant de prendre le bain qui les avait mené tout droit vers d'autres activités. Cela devait faire une bonne heure, au moins, que le tout mijotait sans qu'ils ne s'en soient occupé.
L'oeil expert de Cillian indiqua que, non seulement, le repas était bel et bien perdu, mais qu'en plus, la pauvre marmite aurait besoin de soins intensif afin de retrouver un peu de sa superbe. Après un rapide baiser sur le nez de Ryme, il déclara qu'il ferait en sorte de la récurer pour les aubergistes. Un geste qu'ils apprécieraient sans doute. Mais à vrai dire, la jeune femme n'avait pas réellement faim. Ou plutôt, elle n'avait pas réellement le courage d'aller affronter le regard des aubergistes après avoir fait ce qu'ils avaient fait. Lorsqu'elle était encore une Voix, il n'était pas rare de croiser du personnel : des lingères, des prêtresses ou même des gardes. Mais, ils avaient dans le regard une petite lueur désolée, une sorte d'embarras partager avec les victimes. Ici, il n'y aurait pas cette sollicitude.
Comme s'il pouvait lire dans ses pensées, Cillian l'entoura de ses bras avant de l'entraîner vers le lit. Sa présence calma ses peurs. Elle inspira profondément en profitant de sentir à nouveau sa peau chaude contre la sienne. D'un geste tendre, il l'obligea à lui faire face, juste après avoir déposer dans son cou, un baiser qui l'avait fait frémir. Son regard à la fois doux et perçant circula sur sa poitrine avant de se fixer dans ses pupilles. Ryme ne put réprimer un sourire tendre, amoureux. Un simple regard lui faisait déjà de l'effet. Son souffle, tout prêt de son oreille la chatouilla et un nouveau rire délicat s'envola de sa gorge alors qu'il claquait des mâchoires. Il n'eut pas le temps de décoller bien loin, rattraper dans sa course par des lèvres malicieuses qui scellèrent les siennes.
Tendrement, l'ancienne Voix, dirigea ses mains vers respectivement la poitrine et l'arrondie perdue d'une joue. Bien qu'il venait de la libérer, elle resta un peu silencieuse, profitant de l'instant, de lui et de la délicieuse torsion qui animait son ventre.
Sa main s'enroula autour d'elle, possessive, protectrice et tentatrice. L'amusante pensée qu'elle venait de transformer un agneau en loup lui traversa l'esprit, non sans une once de fierté. Et c'est à peine si elle l'écouta alors qu'il lui exposait son plan de bataille face à l'affaire de la marmite brûlée. Car, pour la première fois qu'ils s'étaient retrouvés, elle avait le sentiment d'avoir enfin entre ses doigts,celui qu'elle cherchait depuis le début. Et tout lui semblait enfin juste et presque merveilleux. Qui aurait cru que quelques tendresses pourraient avoir un effet presque aussi magique sur lui. Leurs lèvres se joignirent encore, remplies d'une langueur qui n'existait pas quelques minutes plus tôt. Peut-être que finalement, elle en avait fait un lion conquérant.
« Ne me dis pas ce genre de choses. Sinon, je pense qu'ils ne nous verrons pas arriver de sitôt en bas. » répondit-elle simplement en jouant légèrement de ses doigts sur sa poitrine. Mimant un petit être marchant, elle remonta les courbes de ses muscles, avant d'aller déposer un index taquin sur la pointe arrogante de son nez. Elle le substitua rapidement de ses lèvres avant de se redresser.
« Dommage que le Cillian sauvage, ne soit pas plus nourrissant à défaut d'être délicieux. » le taquina-t-elle en réponse à sa remarque sur le fait qu'elle ne pourrait pas combler les nécessités basiques de son corps.
Ryme s'étira doucement, et un léger borborygme s'échappa de son ventre, comme pour mettre en exergue cette affirmation. D'un air faussement choqué, elle regarda son estomac, puis Cillian avant de se lever.
« Et je crois que mon estomac est du même avis ! » lança-t-elle, un brin mutine et malicieuse avant de s'éloigner vers la coiffeuse. Intérieurement, elle pria pour qu'il ne la rejoignît pas tout de suite, sa résolution à descendre ne pouvait pas se permettre d'être ébranlée par quelconque attention qu'il pourrait avoir à son égard.
Une fois installée, elle regarda son reflet. Une toilette de chat ne prendrait pas beaucoup de temps. Et pour l'odeur légèrement lourde de stupre qui planait sur tout son être, elle pouvait toujours utiliser un peu de parfum.
Énergiquement, elle se brossa les cheveux. C'était la chose qui la trahirait le plus. Ses boucles, d'ordinaire parfaitement ordonnées et coiffées, n'étaient plus qu'un incroyable imbroglio sauvage. Le sel de leur bain de mer n'était pas encore tout à fait parti, les rendant encore plus indisciplinés. Finalement, elle se saisit d'un pic à cheveux pour nouer la masse rousse sur le dessus de son crâne. Ses mains savonnées passèrent aux endroits les plus stratégiques de son anatomie avant qu'elle ne se séchât rapidement pour passer des vêtements simples.
Elle grimaça légèrement en voyant la couleur rougeâtre de sa peau en comparaison de l’étoffe blanche de sa robe. Décidément, elle n'était vraiment pas adaptée à une vie sous le cruel soleil des îles. Ryme déboucha la petite bouteille d'huile qu'on lui avait apportée. Elle était délicatement parfumée et l'odeur sucrée qui se dégageait à présent de sa peau l'innocentait sans peine du péché de chair.
« Prêt à affronter le monde d'en bas ? » questionna-t-elle avec un léger sourire sur le visage.
Comme toujours, il passa en premiers dans les escaliers. Mais, elle savait très bien que ce serait à elle de parler. Dur de composer avec... Comment s'était-il qualifié déjà ? Ah, oui, un taiseux. Ryme fit de son mieux pour ignorer le regard légèrement glissant sur elle et Cillian. Les clients encore présents échangeaient des petits sourires. Les personnes placées près de l'escalier avaient sans doute profité malgré eux de leur intimité.
Ils attendirent un peu au comptoir avant que l'aubergiste n'arrive. Il avait toujours son air sympathique, plein de bonhomie.
« Qu'est-ce que je peux faire pour vous, dame Invokeure, monseigneur Gardien ?
— Eh bien... Il se trouve que nous avons malheureusement brûlé notre dîner...
— Ah, c'était donc ça la petite odeur de cramé ! Ma femme voulait qu'on fouille toute l'auberge ! Après tout, tout est en bois... Un incendie ça détruirait cette bonne vieille bicoque !
— Nous sommes désolés pour la gêne que nous vous avons causé.
— Bah pensez-vous ! Mais du coup, vous devez avoir faim ? Allez donc prendre une table, je vous apporte quelque chose !
— Vous êtes bien trop aimable. Nous récurerons la marmite, soyez-en assuré. »
Il s'inclina poliment avant de les invités à s'avancer vers la partie restauration de l'auberge. Il n'y avait plus grand monde. Les seuls autres clients devaient être des voyageurs, comme eux. Ryme salua d'un signe de la tête, ceux qui établissaient un contact visuel avec elle. Puis, ils prirent place à une petite table, non loin d'une fenêtre, tout près de la mer. Malgré le paysage, la magie de la chambre s'était envolée. Le poids des responsabilités revenait lentement sur ses épaules.
Ryme entremêla doucement ses doigts à ceux de Cillian. S'afficher ensemble, à une table, n'était pas désagréable. Quelques secondes plus tard, l'aubergiste revenait avec deux bols de ragoûts fumants. Il déposa une petite miche de pain sur la table. Ryme s'attendait à ce qu'il s'en aille, mais au lieu de ça, il sembla fouiller dans son tablier.
« On m'a dit de vous transmettre un message, madame. » il avait soudainement perdu tout son entrain.
Légèrement inquiète, Ryme se demanda s'il ne s'agissait pas d'un billet à propos du décès d'Akemi ou de tristes nouvelles venant de Gordias. La rousse s'empressa d'ouvrir le petit papier. Un vide glacé se forma dans son ventre tandis qu'elle écarquillait les yeux. Devait-elle partager le contenu de la missive avec Cillian ?... Oui. Elle lui avait promis d'être à lui pour l'éternité et bien plus encore. Elle ne voulait pas que le mensonge et les secrets entachassent leur relation. Silencieusement, elle fit glisser sa main vers lui, le morceau de papier soigneusement caché à l'intérieur au cas où on les observait. Le message était écrit en lettres capitales sévères.
'Monseigneur Vilhatt saura'.