Pas de bain. Quelque part, Ryme fut satisfaite de cette réponse. Bien que l'auberge semblait être de très bonnes factures, surtout dans cette chambre, il était vieux. Peut-être un des bâtiments les plus anciens de l'île et de ce fait, les installations étaient bruyantes. À en croire par les regards qu'ils avaient reçus tout à l'heure en se joignant à la salle commune, les murs n'étaient pas bien épais. Les autres clients ne devaient déjà pas être charmés de les avoir entendu s'aimer, alors, ils n'allaient tout de même pas les ennuyer avec la cacophonie des tuyaux apportant de l'eau à la baignoire. La jeune femme ne savait pas vraiment quelle heure il était ; juste qu'il était assez tard pour que le soleil soit couché et certains essayaient peut-être de trouver le sommeil.
Et puis, c'était vrai qu'un bain les retiendrait encore un peu loin des draps. Bien qu'encore sous le charme de leurs ébats, Ryme devait reconnaître que son corps avait besoin de repos à présent. L'amour était tout sauf un acte reposant, la sueur qui nappait le dessous de sa poitrine pouvait en témoigner. Et plus les minutes s'égrainaient et plus son infirmité se rappelait à elle. Une douleur lancinante, tenace et perfide commençait à naître là où sa blessure était la plus importante. Elle remontait le long de sa jambe, se fixant d'une manière tenace à sa hanche. Tant pis, le léger rougissement qu'elle vit sur les joues de Cillian lui suffit à penser que, cela valait le coup. De toute façon, elle avait toujours mal, et ce quoi qu'il fasse ou ne fasse pas.
Un sourire perla sur le visage de son ancien gardien alors qu'il venait de quitter le lit et semblait être en mesure de lui répondre. Immédiatement, Ryme regretta ses paroles. Il ne le dirait pas, mais elle savait qu'elle l'avait probablement vexé. Et, elle ne lui en voudrait pas s'il lui en tenait griefs. La jeune femme avait tendance à oublier que l'homme qu'elle avait sous les yeux, sous les doigts et sous le cœur, n'était pas tout à fait celui qu'elle avait connu. C'était une sorte de puzzle, qu'elle avait plus ou moins réussit à remettre en ordre, sans pour autant que les pièces se correspondît vraiment. Mais, une petite voix, en son fort intérieur, lui disait qu'il préférait sans doute qu'elle lui fasse part de ce qu'elle avait au fond d'elle, plutôt que de se contenter de sourire bêtement et poliment comme on lui avait toujours appris.
Cependant, il prit la peine de lui répondre. Il énonça, d'une voix douce qu'il s'était rendu compte de ses sentiments alors qu'il risquait de l'avoir perdue. Instinctivement, Ryme porta son regard dans le miroir, au niveau de son épaule, où l'impacte de la balle était encore très clairement visiblement sur sa peau. Parfois, il lui arrivait même d'entendre la détonation dans ses rêves. Il précisa sa pensée, exprimant que, si les prêtres avaient essayer avec tant de véhémence de lui enlever ses sentiments, c'était sans doute parce qu'ils étaient vrais, réels et puissants. Ce cheminement de pensée lui vrilla un peu l'estomac : elle pensait l'effet contraire. Après tout, il ne se souvenait pas de tout, alors peut-être que, cet amour, ils l'avaient mis là. Pour qu'au bon moment, Vilhatt puisse la punir de la plus horrible des façons en la privant de la seule chose qu'elle avait désirer. Mais, elle ne répondit pas. Attendant qu'il continue encore un peu : un Cillian « bavard » était une chose rare dont il fallait savoir profiter.
Il avoua ensuite que, cette clarté vis-à-vis de ses sentiments était aussi due à ces derniers jours. Encore une fois, L'Invokeure ne sut pas réellement sur quel pied danser. Mais, cette fois-ci, c'était pour une tout autre raison, bien plus sombre, bien moins avouable : par pure vanité. Pendant tout ce temps, elle avait tenue grâce aux sentiments qu'elle éprouvait pour lui. Grâce à la force qu'il lui inspirait. Grâce au symbole qu'il était. Finalement, elle n'avait été rien de tout cela pour lui dans la Via. Un peu d'amertume se posa sur son cœur pour s'envoler aussitôt. Le passé ne devait pas avoir d'importance sur l'avenir, songea-t-elle en l'observant se lever pour rejoindre le lavabo. Ce mantra était d'autant plus vrai si on réfléchissait à la situation de Cillian.
Puis, ce fut à son tour d'être interrogée. Non pas sur l'origine de ses sentiments, mais sur les raisons qui avaient conduit à ce que l'homme de sa vie fût lui et pas un autre. Sans répondre tout de suite, elle se tourna vers lui, la mine songeuse. Il y avait tellement de choses, mais... Il fallait sans doute retrouver l'épicentre de ce phénomène qui avait ébranlé sa vie.
« Je pense justement que c'était parce que tu étais un idiot borgne. » répondit-elle d'une voix douce, en déposant sa brosse à cheveux sur le meuble.
Cette réponse allait sans doute le perturber, alors, elle ne laissa pas traîner de silence et s'approcha de lui, pour lui faire face, pour ne pas qu'il puisse s'enfuir. Ryme reposa ses fesses contre le lavabo, avant d'envoyer une de ses mains caresser distraitement les contours de son visage.
« Tu ne t'en souviens peut-être pas, mais... C'est moi qui t'ai annoncé la nouvelle pour ton œil. Je n'ai pas été très gentille ni douce. Parce que je voulais être seule dans cette chambre. Avant toi, j'avais réussi à faire fuir au moins deux personnes, entre mes lourds silences et quelques répliques un peu cinglantes... Je t'ai vu arriver sur un brancard. Ils ne savaient pas comment t'annoncer la perte de ton œil à ton réveil. Je m'en suis chargée. Dés que tu as ouverts les yeux, je t'ai dit, quelque chose comme 'Tu ne verras plus jamais de cet œil.' ou pire. Mais ce n'était vraiment pas gentil. Et toi, tu te souviens de ce que tu m'as répondu ? »
Ryme esquissa un sourire nostalgique. Elle n'était pas vraiment fière de ce qu'elle avait fait à l'hôpital. Il faudrait qu'elle s'excuse auprès des gens qu'elle avait blessés à l'occasion, durant son voyage. Son expression s'effaça rapidement, alors qu'elle ne lui laissait pas vraiment le temps de répondre, s'il s'en souvenait ou si sa mémoire lui faisait défaut, il n'aurait pas le temps d'être mal à l'aise.
« Tu m'as remercié. »
Lentement, elle chercha le contact avec lui. Par l'intermédiaire des doigts, puis des tendons apparents. Elle adorait l'aspect brut, dur et sauvage de ses mains.
« A cette époque, tous les hommes que je connaissais auraient eut des réactions tout autre. Ceux des Voix auraient pleuré leur beauté perdue à jamais en se morfondant encore et encore. Quant aux prêtres, ils auraient demandé à Yevon pour quoi, il les punissaient. Mais toi, tu m'as juste dit merci. Et j'ai su que tu n'étais pas comme les autres. Tu sembles croire que tu es... Un homme banal, un homme comme il y en a tant d'autres de part le monde. Mais c'est faux. »
Sa voix était douce, comme un murmure. Elle l'invita à venir caresser son visage, blottissant amoureusement sa joue contre sa paume chaude.
« Je ne connais aucun homme à part toi qui serais capable d'aller braver la Via juste pour... Une... Poupée, un jouet sans personnalité ni but. Et dans ce 'merci', je crois que j'ai vu ça. J'ai senti toute la lumière et le courage, mais aussi toute la rébellion que tu pouvais apporter à mon existence. Et je suis tombée amoureuse de toi. »
Ses yeux brillaient d'un amour inconditionnel. Mais il y avait une petite pointe de tristesse aussi, parce qu'elle savait que cet homme-là, celui dont elle parlait, était mort. Il ne reviendrait pas. Il ne reviendrait jamais.
« Et... Même si les choses ont changées, je ressens toujours tout ça, quand je suis avec toi. Et bien d'autres choses encore. Lorsque... Lorsque tu me regardes, lorsque tu me touches... J'ai l'impression d'être intacte. D'être complète, d'être vivante. »
Elle poussa un soupir, en rougissant un peu. Ryme n'était pas vraiment une femme très loquace vis-à-vis des sentiments qu'elle pouvait éprouver. Elle était câline, attentionnée, mais les mots avaient toujours du mal à sortir de sa gorge, parce qu'elle les avait tant et tant répété à un homme qu'elle haïssait de tout son cœur.
« Je... Ferais mieux de me nettoyer un peu et de me préparer pour la nuit. » déclara-t-elle doucement en se relevant du lavabo, avant de se diriger vers les affaires qu'elle avait préparer distraitement quelques minutes auparavant.