Elle se serait sûrement elle-même déçue, à bien y repenser. Non pas que l'idée de se poser un jour et d'avoir un enfant ne lui plaisait pas, mais elle était d'une part trop jeune et, de l'autre, bien trop amoureuse de sa liberté. Elle ne voyait pas plus l'amour comme une entrave, ceci dit. À son sens, il était même sûrement l'une des plus belles façons d'être libre. Aimer n'était en rien un fardeau, ni même un boulet, et il n'était pas d'homme plus libre, que celui capable d'avancer selon ce que son cœur lui dictait. Un peu comme Kwokkak, au final. Peut-être qu'il n'aimait pas comme elle pouvait aimer, mais son cœur portait un amour qu'elle sentait uniquement à l'entendre parler. Pour ce monde et pour sa liberté.
Lilia secoua tout doucement la tête et, dans un même mouvement, se hissa sur le bord de son évier en veillant à ne pas trébucher sur quoi que ce soit qui puisse aussi bien foutre en l'air le repas que le reste. Elle divaguait, un peu. Peut-être. Même pas. Sa vision du monde était tout simplement plus idyllique ce qu'on pouvait penser. Et peut-être qu'elle avait tort, que la désillusion serait dure et qu'elle se ferait sûrement mal, une fois qu'elle tomberait, mais elle y croyait. En dépit de ce qu'elle avait vécu, peu avant l'avoir rencontré, elle y croyait. Autant qu'elle croyait en ce qu'il disait.
Elle ne se battait que pour les autres, oui. N'était devenue Bannisseuse que pour pouvoir protéger tous ceux qui croiseraient sa route, oui. Comme elle avait elle-même été protégée et sauvée. Quand bien même Kwokkak n'avait pas été celui qui avait mis dans sa tête l'idée de se battre pour ceux qu'elle aimerait, il l'avait poussé dans ses convictions assez fort pour qu'elle arrive à les mener à terme. Elle aurait sûrement abandonné, si elle ne l'avait pas rencontré. Et Yevon seul savait si elle serait même encore en vie, s'il ne l'avait pas trouvée. C'était autant pour ça que pour le reste qu'elle estimait lui devoir beaucoup, sûrement, en dépit du peu d'importance qu'il semblait accorder à la chose. Pas étonnant, pour ce qu'elle en savait. Il aidait parce que c'était ce que son cœur lui dictait.
Lilia sourît, un peu plus. Elle avait peut-être raison, au final.
Toutefois, la question sur le pourquoi du comment elle n'était pas partie ne manqua pas de légèrement lui soulever le cœur. Pourquoi ? Parce qu'elle aimait Luca. Elle savait qu'elle n'y resterait pas toute sa vie, mais elle aimait cet endroit. Et sûrement aussi parce que, quelque part au fond de son cœur, elle avait espéré qu'il revienne la chercher. Ce n'était pas réellement le cas, mais il était là, et cette façon qu'il eût de la regarder en évoquant l'idée de lui-même s'essayer à la vie en ville plutôt que sur les routes ne manqua pas de rendre un peu plus fou son pauvre cœur déjà martyrisé.
Bien sûr que si.Et la conversation dériva aussitôt. Elle s'en serait pas plainte, ceci dit. Raviver des souvenirs lui paraissait plus agréable que l'idée d'avoir à le regarder se demander s'il serait bien, entre quatre murs. Évidemment que non, il ne le serait pas et elle s'en voulait cruellement d'avoir espéré, le temps d'un instant, qu'il resterait. Ne serait-ce que quelques mois, avant qu'ils ne finissent par s'en aller.
Le visage illuminé d'un sourire légèrement amer, Lilia se laissa néanmoins aller à rire, puis se cala un peu plus confortablement sur le bord de son évier. Elle tapota tout doucement ses lèvres, du bout des doigts. Amusée à l'idée d'y repenser quand bien même, sur l'instant, elle n'avait pas eu le cœur à rigoler. Elle était encore un peu trop traumatisée, à l'époque. Terrorisée par tout ce qui lui semblait anormal et elle avait, plus d'une fois, frôlé la crise cardiaque lorsqu'elle avait entendu des petites bestioles faire leurs affaires, dans les buissons qu'elle avait croisés.
—
Pour être honnête, je crois que je n'aurais pas fait mieux moi-même. Je sais comment construire une clôture, monter un étal ou amarrer une barque, mais demande moi d'effectuer un travail de charpentier et je crois que je serais la première à en rire. Et elle n'exagérait pas. Loin de là.
—
Je te suis reconnaissante, ceci dit, même si à tes yeux c'est parfaitement naturel. Ca l'est. Et je sais que tu as fait au mieux pour prendre soin de moi, à ta façon. Tu voulais m'aider et tu y es très bien arrivé. Je ne pense pas que je serais ici aujourd'hui, si c'était le cas. Et... Ca me fait froid dans le dos de le dire mais je serais très certainement morte là-bas, si tu ne m'avais pas trouvée. Là non plus, elle n'exagérait pas. Elle était à bout de force, épuisée par son manque de sommeil, affamée, et moralement éreintée. Tant et si bien qu'elle avait même cru qu'elle divaguait, au début.
—
Je pense que... La vie en ville est à peu près comme tout. Il faut te donner ta chance, même si tu sais que tu ne t'y tiendras pas. C'est une expérience à vivre, comme toutes les autres. Je me suis installée ici mais je sais que je serai incapable de faire toute ma vie à Luca. Et si je ne suis pas partie et bien... Elle marqua une pause. Juste le temps de chercher, dans le silence, les mots pour exprimer ce qu'elle voulait lui avouer. Sans trop en faire. Elle ne voulait pas qu'il comprenne, mais elle voulait lui parler.
—
Disons que j'attendais un compagnon de route. Je m'entends bien avec eux mais... Je sais que je n'aurais pas voyagé avec eux pour les mêmes raisons. Ils sont de ceux qui parcourent Spira justement pour la gloire. Le mot est fort mais... Certains d'entre eux se sont même mis en tête qu'ils trouveraient une femme après avoir sauvé un village d'une attaque de monstres, pour te donner une idée. C'est un peu surfait, naïf et cupide. Mais ils ne sont pas réellement méchants, juste... Disons qu'ils ont des objectifs particuliers, et une façon toute aussi particulière d'y arriver. Elle le gratifia d'un sourire vaguement désolé, avant de continuer :
—
Je veux voyager pour voir le monde. Parce que c'est ce que mon cœur veut et parce que je sais que c'est sur ce chemin que je trouverai ce que je cherche. Je veux dire... Je mourrai peut-être jeune, ou je finirai par m'installer quelque part, mariée et maman. Dans tous les cas, je saurai que j'aurais vécue libre et c'est ce que je veux. Autant que je veux apporter un peu de moi dans ce monde à ceux qui en auront besoin, comme tu l'as fait pour moi. Je veux vivre ma vie autant que je tiens à protéger l'avenir que Lady Yocun nous a offerts, mais autrement qu'en restant en place. Je ne tiens pas en place, de toute façon, et il n'est pas de façon plus belle que d'être libre en écoutant son cœur, à mon sens. À moins que ce ne soit celui de Sin, mais ce n'est pas un homme alors...À ses mots, elle ajouta un léger rire avant de doucement sauter sur le sol, attrapant ensuite de quoi commencer à mettre la table en fredonnant légèrement.
—
Ça m'étonne que tu n'aies pas fait fureur à l'escrime ceci dit. Il est de notoriété publique que tu es une fine lame, pourtant !Un peu de taquinerie ne pouvait pas lui faire de mal, non ? Mais pour être sûre qu'il ne le prendrait pas mal, Lilia lui offrît un sourire délicat avant d'aller poser, sur la table, ce qu'elle avait entre ses mains.
—
Je t'aurais attendu longtemps, mine de rien, souffla-t-elle finalement pour elle-même, dans un murmure à peine audible.
© Codage par moé.