L'encre de la nuit se mélangeait avec la pureté de la glace. Dans la forêt de Macalania, tout était silencieux. Le poids de la neige éternelle absorbant les sons y était sûrement pour quelque chose. Cependant, Ryme ne pouvait oublier que c'était à l'intérieur même de ces bois, pourtant si paisible d'apparence, que sa jambe avait été en partie emportée par un monstre. Elle se souvenait encore avec précision du grondement sinistre que la bête avait émis lorsqu'elle avait attaqué. Du bruit de la chair se disloquant avec l'os. Du goût du sang dans sa bouche. L'Invokeure baissa la tête vers sa jambe. Cela faisait presque quatre ans.
Comme bien souvent lorsqu'elle replongeait dans le passé, ses pensées allèrent vers Cillian. Il n'avait jamais répondu aux lettres qu'elle lui avait envoyé. Ryme ignorait s'il les avait même reçues. Cela faisait presque neuf mois qu'elle s'était séparée de lui. Ce choix lui était toujours douloureux. Il n'y avait pas un jour sans qu'elle ne pensât à lui. Bien sûr, avec le temps, la blessure avait été moins vive et petit à petit, elle avait appris à retrouver le sourire. A retrouver l'aura confiance et sereine qui l'avait toujours caractérisée, même lorsque son cœur était nimbé d'ombres.

Garan était devenu un ami. Gordias un proche. Même si le vieux Gardien restait volontairement à distance, des liens forts s'étaient créés au cours de ces mois d'errance. Les épreuves les avaient rapprochés, tant et si bien que Ryme avait abandonné le vouvoiement à l'encontre de ces deux Gardiens. Comme elle l'avait imaginé, son retour sur le continent, après qu'elle eût obtenu la faveur d'Ifrit, avait été remarqué. Avancer avait été difficile, mais les manigances de Vilhatt furent absentes, comme si le prête avait été rassuré de voir que Cillian était absent. Ryme avait alors douté et avait presque décidé de faire machine-arrière pour retourner sur Besaid, de peur que les foudres de l'église ne soit dirigée qu'à l'encontre du nouvel Invokeur de l'île. Mais on l'avait dissuadé de le faire ; ce vif retour aurait probablement fait plus de mal à tout le monde. Tant pis si pour cela elle devait souffrir. Le temps n'était plus à l'égoïsme.

Si elle fermait les yeux, Ryme pouvait toujours voir les traits ciselés de Cillian. Elle n'avait pas oublié la chaleur de ses paumes, véritables fantômes qui dansaient sur sa peau lors des soirées les plus pénibles de cette étrange aventure. L'avait-il oublié ? Etait-il décidé à passer à autre chose ? Avait-il reçu la grâce d'une ou plusieurs chimères ? Pour l'instant, leurs routes ne s'étaient pas croisées. Mais le chemin n'avait pas été évident non plus. Gordias avait été blessé lors d'une attaque de monstre aux alentours du Lac Sélénos. Le groupe avait dû prendre du repos forcé. Et Ryme pouvait sans doute l'avouer sans rougir : cela avait fait du bien à tout le monde.
Dernièrement, la dernière épreuve qu'ils avaient subie avait été le refus de Shiva. Bien que déterminée à continuer la lutte, le priant voyait clair dans le jeu de Ryme et se refusait à elle. Au bout du deuxième refus, d'un commun accord, Gordias, Garan et Ryme avaient décidé de se rendre à Bevelle afin d'obtenir la bénédiction de Bahamut. Une fois le sombre dragon en elle, la dame de glace ne pourrait plus refuser d'apporter sa marque sur l'Invokeure. Tout du moins, c'était ce qu'ils imaginaient.
Ryme redoutait plus que tout son arrivée à Bevelle. Cette ville qu'elle connaissait tant, dans laquelle elle avait encore beaucoup de souvenirs et où, presque tous les habitants la voyait comme 'La Voix Rouge'.

— Ryme ? Il est tard. Tu devrais te coucher.

Les paroles de Garan firent sursauter la jeune femme qui se retourna.
Le frère de Cillian n'avait presque pas changé. Une barbe fournie lui grignotait à présent les joues et il était assurément plus musclé que lorsqu'ils avaient fuient les îles du Sud. Mais son regard restait doux et plein de mystères.

— Je ne vais pas tarder, répondit-elle avec un sourire, as-tu des nouvelles ?
— De mon frère ou de son maître ?

Son visage s'illumina d'un sourire en coin, légèrement mesquin. Ryme savait qu'il n'appréciait pas le traitement silencieux qu'on leur réservait.

— Les deux.
— J'aimerais te dire que j'ai quelque chose mais...
— Non, je devrais arrêter de demander tous les jours. Ca doit juste être... Pénible.

Il ne répondit pas, se contentant d'un rictus presque triste.

— En tout cas, tu ferais mieux de retourner à la tente. Gordias bougonne déjà assez comme ça sans qu'il se demande où tu es passée.
— J'arrive bientôt.

Garan déposa sa main sur l'épaule de l'Invokeure avant de s'en aller de la clairière. Ryme le suivit du regard et remarqua que leur campement était bien visible entre les branches de cristal de la forêt de glace. Elle s'autorisa à avancer un peu, s'aventurant plus loin dans la clairière jusqu'à un des lacs d'eau pure qui gisait dans les entrailles de la forêt.
Peu de temps après leur fuite, Gordias avait tenté de joindre le maître de Cillian pour obtenir des explications. Aucune réponse n'était parvenue aux oreilles de Ryme. L'homme était peut-être bien décidé à rester caché des yeux de l'église. La jeune femme poussa un soupir et regarda son reflet dans l'eau.
Elle était toujours la même, surtout maintenant que ses cheveux avaient repoussés. Quelques boucles tombaient aléatoirement dans le creux de ses clavicules maintenant. Une longueur de cheveux qu'elle détestait. De ce fait, elle avait toujours les cheveux attachés. Ryme était assurément plus maigre qu'avant, résultat du poids que son cœur traînait depuis son départ de Besaid. Le printemps dernier avait apporté sa vingt-quatrième année sur Spira. Cela faisait déjà plus d'une année qu'elle était devenue Invokeure. Sin n'avait toujours pas été vaincu. Vilhatt ne serait peut-être pas le dernier arrêt de ce voyage, finalement.

Une étoile filante se détacha de la toile céleste.
Ryme ferma les yeux et fit le vœu de pouvoir revoir Cillian au moins une fois avant de marcher droit dans la gueule du loup.

— As-tu vu cette étoile-filante ? As-tu fait un vœu, toi aussi, mon amour ?

— Qu'est-ce que tu espérais ma pauvre Ryme ?

La brûlure - presque trop familière, de la peine s'invita au creux de la muqueuse de ses yeux. Pendant quelques secondes, quelques instants, quelques morceaux de rien, Ryme avait espéré ouvrir les yeux et trouver Cillian en face d'elle. Son cœur se serra à l'intérieur de sa poitrine. Il était encore probablement en train d'apprendre les rudiments des invocations ou bien il était sur la route des temples. Comment pourrait-il être là ? La réalité s'imposait d'une manière presque trop cruelle et brutale : il lui faudrait affronter ses peurs en solitaire. Cette morsure douce-amère lui laissa une étrange sensation sur le bout de la langue. Il était difficile d'admettre que Cillian avait raison : ensemble il aurait été plus fort. Mais également bien plus faible à bien des égards.

Soudainement, un bruit provenant d'un arbuste attira l'attention de la jeune femme. Prête à lancer un sortilège, elle tourna la tête en tout sens, observant attentivement son environnement. Finalement, une sphère à l'état brute roula dans sa direction. L'objet n'était pas arrivé là par hasard et pendant quelques instants, l'Invokeure se méfia. Etait-ce un piège ou quelconque manipulation d'un tierce ?
Les minutes s'écoulèrent sans que rien ne se produise, alors, Ryme se pencha vers l'objet. En vue des couleurs qu'exaltaient la surface, un message avait été enregistré. Le globe était encore tiède, mais devenait de plus en plus froid à mesure où le temps s'écoulait.
La sphère avait vu de meilleurs jours, mais elle devait sans doute encore fonctionner. Ryme baissa sa garde et l'activa. Une cape, de longs cheveux bruns tombant sur un torse d'homme, un menton au rasage plus que discutable ; le tout baignant dans les lueurs orangées d'un feu de camp. Les reflets bleutés aux alentours suggéraient que la vidéo avait été prise de nuit ou bien à l'intérieur d'une grotte. Tout était fait pour que rien ne puisse être reconnu.

Puis, une voix s'éleva. Rappeuse et chargée de vécu. Les intonations n'étaient pas sans rappeler celles que pouvaient avoir Gordias. Les syllabes roulèrent sur la langue de l'inconnu, son prénom et ceux de ses gardiens. Le cœur de l'Invokeure se mit à battre bien plus fort, bien plus vite et ce, malgré le froid qui s'insinuait dans son estomac. Une nouvelle phrase permis à Ryme de savoir qui était l'homme mystère sur la sphère. Aussitôt, elle mit la vidéo en pause et retourna au campement. Fort heureusement pour elle, Gordias et Garan n'étaient pas encore dans les bras de Morphée. Les deux gardiens allèrent à la rencontre de leur protégée, qui a bout de souffle, essaya de leur expliquer tant bien que mal ce qu'était la sphère.

Pendant de longs mois, ils avaient espéré que le maître de Cillian entre en contact avec eux. Au fil des jours et de l'absence de réponses, tous avaient songé que ce jour n'allait jamais arriver. D'un geste de la main, Garan rembobina le peu que Ryme avait déjà visionné. Le message fut écouté une première fois. Lorsque la silhouette de Cillian apparut sur la surface aqueuse, le monde sembla soudainement se retirer. L'Invokeure n'écoutait plus les mots, trop concentrer sur les lignes de ce visage que son cerveau avait malheureusement commencé à oublier. Il n'avait pas l'air malade ou blessé. Il dormait d'un sommeil paisible, visiblement profond. Un état que Ryme n'avait plus vu chez lui depuis l'hôpital. Et soudainement, lorsque la bande repassa une deuxième fois, la jeune femme réalisa que demain, elle le verrait. Elle pourrait peut-être le toucher. Le sentir. Ressentir. L'émotion s'empara de tout le cœur de l'Invokeure qui se mit à trembler. Demain. Si loin et si proche.



La nuit avait été plus que courte pour Ryme. Mais elle avait également dû l'être pour Garan et Gordias. Dans la tente, aucune respiration n'avait cessé d'être active. Tous les trois avaient sans doute passé la nuit à cogiter. Sans doute à propos de choses différentes, mais assurément de choses communes. Lorsque l'aube pointa au travers de la canopée glacée, tous étaient déjà éveillés. En silence, ils plièrent leurs affaires avant de se mettre en route vers le lieu de rendez-vous.

— Tu vas bien, Ryme ?

Garan avait déposé sa main sur l'épaule de l'Invokeure. Il avait les traits tirés par la fatigue et des cernes bleutés pointaient sous la peau fine de ses yeux. Ryme ne devait probablement pas avoir une meilleure mine.

— Difficile à dire, souffla la jeune femme en guise de réponse.
— Je comprends. Moi aussi, je suis inquiet.
— Tu anticipes déjà le coup de poing qu'il va probablement te donner ?
— Haha, on peut dire ça.

Gordias restait silencieux et ne participait pas à la conversation mais à la courbure de ses épaules, il était évident que lui aussi redoutait ce face à face. Rencontrer le mentor de Cillian était une chose. Rencontrer l'élève et le maître en même temps en était une autre. Et quand bien même il n'existait aucune information quant à d'éventuelles velléités de la part de ce mystérieux professeur, le groupe n'était pas à l'abri d'une manipulation ou d'un danger. Être contre l'église ne voulait pas forcément dire être un allié.
Quant à Ryme, outre les préoccupations qu'une telle rencontre pouvait engendrer, elle se questionnait vis-à-vis de la bonne attitude à adopter envers Cillian. Ils n'avaient pas rompu à proprement parler, elle avait toujours tâché de lui envoyer des nouvelles, mais elle n'avait jamais reçu de réponses. Cela voulait-il dire qu'il souhaitait que leur relation ne soit plus ? Une nappe de culpabilité lui nimba alors l'estomac : comment pouvait-elle songé à cela alors que le point d'orgue de leur voyage n'était plus si loin. Il fallait qu'elle se montre forte et sans faille, comme elle l'avait toujours fait.

L'arbre foudroyé se profila enfin. L'entrée du tunnel également. Le groupe se faufila à l'intérieur. Gordias ouvrait la marche tandis que Garan la fermait, armes à la main. Une luciole de lumière accompagnait leurs pas, invoquée par la magie de Ryme.
Ils arrivèrent dans une étrange pièce souterraine. Le plafond parsemé de cristaux magique s'illumina au contact de l'énergie du sortilège de l'Invokeure. Les racines des arbres de la forêt de Macalania ourlaient l'espace. Au sol, un glyphe antique était gravé dans le sol en pierre. Ryme fronça légèrement les sourcils, la dalle ressemblait fortement à celle que l'on trouvait dans les chambres des Priants. Pourtant, à ses oreilles, il n'y avait que la mélopée de son sang tambourinant contre les parois de ses veines.

L’écho métallique et funeste d’une lame attira l’attention de Ryme. Aussitôt, Garan et Gordias se placèrent devant elle, les mains déjà positionnées d’une telle façon que l’énergie magique pouvait s’y catalyser. Le mana flottait dans l’air comme un parfum trop entêtant. La pierre brisée du priant n’y était sans doute pas étrangère. La gorge de l’Invokeure se serra, prête à se défendre si le besoin s’en faisait sentir. Une expression farouche passa sur son visage tandis qu’elle essayait d’analyser la pièce, les possibilités et une stratégie en cas de conflit. Ces mois loin de Cillian lui avaient appris beaucoup de choses dans des domaines qu’elle n’aurait vraisemblablement jamais voulu s’aventurer. Mais pour le bien de tous, elle avait dû changer, s’adapter et évoluer. Ainsi allait la vie sur Spira.

L’inconnu — probablement le maître de Cillian, s’avança alors. Le visage découvert, à l’instar de la sphère qui les avait convié ici. Sa figure souffrait de la même sévérité qui abritait les traits de Gordias, mais il semblait plus jeune. Il était loin de l’image de mentor que Ryme s’était faite. Il avait dû être séduisant dans son bel âge. Sa longue chevelure brune ruisselait de fils d’argent tout comme quelques parcelles de sa barbe négligée. Le sourire qu’il leur offrit lorsqu’il rangea son arme ne laissait rien présager de bon ou de joyeux. Il ouvrit la bouche. Délivrant de la voix légèrement rauque de ceux qui parlent peu, son nom. Ishmael. Commun sans être courant. Exotique sans être dépaysant. Notable sans être excentrique. Soudainement, Ryme se demanda si elle ne l’avait pas déjà croisé, sans pour autant situer une réponse fixe à cette interrogation.

Garan et Gordias se détendirent sans pour autant baisser leur garde. Laissant une plus grande place pour Ryme au milieu d’eux. D’un mouvement de la tête, Ishmael indiqua la présence de son élève. La jeune femme le chercha du regard et le trouva étendu, inerte. Tout d’abord, elle prit peur et son cœur s’arrêta presque au creux de sa cage thoracique. Mais rapidement, une précision mit fin à ses craintes : il dormait. Son sommeil était sûrement induit par la magie. Neuf mois n’auraient su apporter la paix et le repos à l’apostat. Ryme connaissait combien les nuits de son compagnon étaient des instants difficiles, chargés de cauchemars, de spectres et de frayeurs d’une vie antérieure.
Après avoir ouvert la discussion dans le sens de ses interlocuteurs, il prit néanmoins une posture aux accents guerriers. Cependant, s’il était celui qui avait appris les arts obscurs à Cillian, il faudrait être fou pour oser le défier sur ce qui semblait être son propre terrain. Un silence froid circula dans la pièce. Un moment étrange où, chaque parti, jugeait et jaugeait l’autre. Finalement, Ryme s’avança.

– En effet, Ishmael. Nous avons essayé de vous contacter plusieurs fois. Enfin, mon gardien, Gordias a tenté de faire comprendre que nous souhaitions vous rencontrer. Je ne saurais dire si c’est grâce à ces demandes que nous nous trouvons là aujourd’hui, mais je vous remercie d’avoir organisé ce rendez-vous.

Polie, calme et impériale, Ryme se dressait là, dans toute sa splendeur. Dans toute la force que son passé de Voix de Yevon avait pu lui offrir. Elle présentait une éloquence en parfait décalage celle de l’élève d’Ishmael. Serait-il surpris ? Que connaissait-il d’elle ? D’eux ? Jusqu’où dans l’église son pouvoir s’insinuait-il ?

— Puis-je vous demander pourquoi Cillian est endormi ? Je suppose qu’il vous a retrouvé bien avant que vous n’ayez la démarche d’entrée en contact avec nous, mais cela ne me met pas très à l’aise. D’autant plus que plusieurs questions le concernent directement.

Outre le fait que cela n’était pas correct aux yeux de Ryme, apercevoir la poitrine de l’ancien gardien se soulever au rythme lent de sa respiration n’était pas assez pour elle. Même s’il était en colère après elle, même s’il ne voulait plus jamais la voir ou la toucher, même s’il la reniait… Elle avait le désir profond et viscéral de le regarder vivre. De pouvoir sentir sa chaleur, son aura et observer le sang affluer dans son visage, que ce soit pour rougir d’émoi ou de fureur. Le temps n’avait pas altéré toute la douceur et l’amour qu’elle éprouvait pour lui. Rien ne pourrait jamais lui arracher ces sentiments, quid de la mort.

— Pourquoi venir vers nous maintenant ?

Demanda subitement Garan, alors qu’Ishmael était encore silencieux. Le Gardien était probablement agacé du mutisme de leur hôte. Ryme déposa une main impassible sur son épaule, essayant de tempérer la fougue qui gisait dans les veines de son compagnon de voyage. Mais il se dégagea et rien n’y fit. L’Invokeure était même surprise de voir autant de véhémence chez lui. D’ordinaire, c’était davantage à lui de calmer les tempêtes qui pouvaient animer la jeune femme.

— Pourquoi avez-vous mis cette chimère dans mon frère ?! siffla-t-il.

Ryme ferma les yeux. Elle aurait souhaité que ce point soit soulevé d’une manière plus paisible et sereine. Mais… Elle comprenait la colère qui animait Garan, car la même bouillonnait dans ses veines.

— Garan… murmura Ryme.
— Vous savez très bien ce que peut faire un Priant sur l’esprit de quelqu’un qui n’a jamais étudié les arts de l’Invocation ! La Via, lui a peut-être fait beaucoup de mal, peut-être plus que nous voulons tous le croire…

Il marqua une pause et considéra Ryme. Pour la première fois en neuf mois, la jeune femme sentit du ressentiment à son encontre venant de Garan. Elle baissa le regard. Elle ne pouvait rien dire ou faire quoi que ce soit. Elle ne pouvait changer le passé. Elle était coupable et pénitente.

— Ishmael, je me moque de bien des questions que j’allais vous poser par politesse. Tout comme Garan, celle-ci me tient à cœur…

Les yeux de Ryme dérivèrent vers le corps de Cillian. Un air profondément triste nimbait les traits de son visage.

— Je ne veux que la vérité. Votre vérité. Malheureusement les souvenirs de Cillian sont comme une mosaïque brisée. Ils sont aussi tranchants et vif que les éclats d’un miroir qui aurait été disloqué. Vous n’êtes sûrement pas sans connaître la chimère qui git dans sa chair, si vous nous donniez…

L’Invokeure laissa sa phrase en suspend. Ce n’était peut-être pas à eux de régler cela. Ryme poussa un soupir.

— Dans quel camp êtes-vous ? Quel est votre but ? Que voulez-vous de nous ? De moi ? De lui ?

Pour la première fois depuis bien longtemps, l’interlocuteur de Ryme ne voulait rien d’elle. Il était là pour celui qui avait été son élève, rien de plus. La surprise put se lire dans le regard de l’Invokeure ; les nœuds coulissants de la politique de l’église étaient autour de sa nuque depuis bien trop de temps pour qu’elle ne réalise qu’il existait encore des gens qui n’étaient pas liés avec cette sombre affaire. Peut-être était-elle trop égocentrique, aussi. Mais cela était un autre sujet qui n’avait pas lieu d’être évoqué.
Il était l’héritier d’un Ordre, sans doute ancien, qui maniait une magie tout autant âgée et maintenant oubliée. Ishmael avait décelé en Cillian le successeur de cet art, le Graal qu’il avait tant recherché. Mais d’après lui, alors que dans cet endroit maudit gisait le Priant le plus terrible que Ryme avait vu, il avait commis l’irréparable. Ces mots voltigèrent dans le silence, créant un tourbillon d’émotion pour quiconque les avait entendus. La gorge de Ryme se serra et ses jambes cédèrent sous son poids. Garan et Gordias proposèrent leur aide, mais elle n’en fit rien, trop abasourdie pour pouvoir réagir. Son regard était fixé sur Cillian, sur sa poitrine qui se soulevait délicatement au rythme de sa respiration.

— L’église à bien des secrets qu’elle ne souhaite révéler qu’à certains. Si votre… Art est aussi antique que vous le prétendez, il y a sans doute beaucoup de choses que je mésestime. Que même des maîtres de Yevon ignorent. Mon frère vous fait peut-être confiance, assez pour se laisser approcher et baisser sa garde, mais moi je ne vous connais pas.

Garan haussa légèrement la voix en levant le regard vers Ishmael. L’ombre si délicate de la colère était venue se ficher dans ses pupilles.

— Il m’a dit avoir essayé d’aller mieux… Pour moi. Mais qu’il n’avait pas réussi. Et que c’était pour ça qu’il…

L’Invokeure ne termina pas sa phrase. Les larmes lui montaient déjà aux yeux. Tout ce qu’il lui avait exprimé était un tissu de mensonges. Était-ce là, la manipulation d’un Priant qui s’était emparé de son esprit ? Quel fragment de la mémoire de l’ancien Gardien était vrai ? Était-ce cela que Marnie persifflait, lorsqu’elle évoquait la fausseté des sentiments qu’ils avaient l’un envers l’autre ? Qu’elles étaient les connaissances de Vilhatt à l’égard de ce nouvel élément ?
Ses lèvres se mirent à trembler à mesure que l’envie de vomir lui vint. Son corps commença à frissonner. La vérité qu’elle cherchait avec tant de colère et de véhémence n’était pas celle qu’elle aurait voulu avoir. Garan passa sa main sur le dos de l’Invokeure.

— Pourquoi avoir accepté de nous voir aujourd’hui ? demanda-t-il tout en continuant ses caresses réconfortantes.

— Qu’est-ce que vous avez à faire dans toute cette histoire ? Quel est votre lien avec notre « ami commun » ?

Un silence de mort retomba dans la salle. Ryme refoula ses larmes ainsi que la bile qui lui nappait le fond de la gorge et se releva, coupant toute réponse à venir. Ses lèvres pincées n’auguraient rien de bon, ni même la posture composée qu’elle avait prise. Toute personne qui la connaissait savait que cela voulait dire qu’elle s’apprêtait à prendre une décision contraire à toute logique.

— Combien de temps votre sortilège peut-il tenir ? demanda-t-elle.

— Je sais ce qu’il est venu faire, je sais quelle rage la mener à venir jusqu’ici, aux portes de Bevelle. Mais… même si je sais combien il rêve de pouvoir mettre un point final à cette mascarade, je connais le prix qu’il est prêt à payer pour cela. Et je ne peux m’y résoudre.

Garan baissa les yeux. Quant à Ishmael, il était impossible de lire ce qu’il pensait réellement de tout cela. L’homme semblait porter un profond désintérêt pour la cause qui animait le reste des personnes présentes. Mais peut-être que le retour du fils prodigue suffirait à le rallier à eux. Tout du moins, pour un temps.

— Aimez-vous Cillian, Ishmael ?

La question fouetta l’air comme un coup de tonnerre dans la plaine foudroyée. Même s’il était déçu, Ryme refusait de croire qu’il n’existait plus aucun lien entre le maître et le disciple. Elle se souvenait également de tous les mots élogieux que Cillian avait glissés à propos de lui. L’Invokeure s’avança à pas mesurés. Impériale d’apparence, mais si faible de cœur.

— Il est l’élève que vous attendiez. Vous ne l’avez pas encore renié, sinon, vous n’auriez pas pris la peine de faire tout ceci. Avec la puissance de cette chimère, il est bien plus fort que ce que vous n’oseriez imaginer. Il sera capable d’être votre successeur, cette fois.

Pendant quelques instants, Ryme ferma les yeux. Elle bloqua sa respiration, puis inspira profondément.

— Montrez-moi le chemin du priant. Je lierais mon âme à la sienne. Puis nous partirons. Il est compréhensible que vous n’ayez aucun intérêt dans notre contingent avec Yevon. Non, de mon contingent avec l’église.

— Ryme ! Tu n’as pas…

— Cillian ne doit pas avoir encore du sang sur les mains ! Il est clair qu’Ishmael ne nous aidera pas à combattre.

L’Invokeure s’était retourné brutalement vers le frère de son ancien compagnon. L’ire qui avait habité son regard s’était évaporée au profit de la peur.

— Shiva n’a pas voulu de moi. Mais… sans cette créature… Je ne serais pas assez forte pour triompher.

Les yeux de Ryme glissèrent sur lui sans vraiment qu’elle ne lui portât attention. Elle fit un pas de plus vers Ishmael et mélangea ses iris à celle du maître sans âge.

— Êtes-vous d’accord pour m’aider ?

La réponse cinglante du maître de Cillian alimenta les braises de la colère dans le cœur de Ryme. L’invokeure serra les poings. Elle était bien des choses et avait de multiples défauts, mais sotte ne faisait pas partit de la liste. Et même si elle entendait parfaitement les arguments qu’il pouvait lui offrir, elle voyait en Ishmael l’identique agaçante imperfection qui l’énervait parfois tant que les individus de l’Église. L’homme décidait sans ciller du bien et du mal, de ce qu’il fallait faire ou non. Si d’ordinaire, la jeune femme avait été prompte à l’écouter, le sentiment d’être acculée la rendait presque féroce. Mais contre toute considération ou logique, les évènements de Besaid avaient eu raison de sa résilience et les longs mois de voyages avaient enterré les barrières qu’elle avait dressées entre elle et sa haine.

— Insinueriez-vous que ma colère n’est pas juste ? Peut-être que je n’ai pas le droit de ressentir tout cela ? articula-t-elle doucement, la voix tendue par l’émotion.

Garan fit un pas en avant vers Ryme, mais il éprouva le friselis de la magie parcourir l’air. La dernière fois qu’une pareille fébrilité s’était invitée chez la jeune femme, Marnie avait perdu la vie, transpercée par un sortilège.

— Qu’importe ce qui m’arrivera après, vous pourrez bien me pourchasser jusqu’aux confins du monde pour m’envoyer auprès de Yevon, je m’en moque. J’en ai plus qu’assez que des personnes me dictent comment je dois me sentir. J’en ai plus qu’assez de réprimer mes sentiments et de m’entendre dire que je n’ai pas le droit de prétendre à la vengeance !

Une larme sauvage s’échappa de son regard alors que tout son corps se tendait sous les effets de la rage.

— Si vous et votre ordre êtes aussi puissants que vous le clamer, où étiez-vous lorsque l’église s’est teintée d’ombre ? Où étiez-vous lorsque des enfants tombaient dans les griffes d’hommes comme Vilhatt ? Car il n’est pas le premier. Oh non, par Yevon, il est loin d’être le premier.

La respiration de Ryme s’accéléra à mesure que son cœur semblait vouloir percer les chairs de sa poitrine. Sa mâchoire se verrouilla et ses dents se mirent à claquer.

— Qui était là, lorsqu’il… Lorsqu’il me touchait ? Nous touchais. J’ai des souvenirs de journées entières de conclaves du clergé où j’étais à sa disposition, assise à côté de son fauteuil, comme un trophée ! Personne n’était là quand devant l’assemblée de ces braves prêtres, je devais le flatter de ma langue.

Peut-être que Gordias avait eu vent des pratiques des hautes sphères avec les artistes de Yevon. Peut-être l’apprendrait-il comme Garan. Pas même Cillian savait réellement toute l’emprise qu’avait pu avoir Vilhatt sur la vie de Ryme, mais aussi d’autres Voix. Et avec l’odieuse blessure que Marnie lui avait portée, il était hors de question qu’elle lui parlât un jour de ce qui advenait d’elle lorsque la folie saisissait Vilhatt.
L’odeur de la sueur rance du prêtre revint à la mémoire de Ryme, tout comme le bruit des râles de plaisir qu’il pouvait avoir. Elle pouvait presque sentir sur sa peau son toucher délétère et dans sa bouche, la saveur venimeuse de ses baisers.

— Si vous vous moquez de ma cause, je n’ai que faire de votre désir d’héritage. Et pour la première fois de mon existence, je me fiche cordialement de ce que pourrait penser Cillian.

Ryme ne l’avait jamais clairement dit, mais en elle, il subsistait une amertume à propos de l’ancien Gardien. Lui qui avait promis de revenir sans jamais se montrer. Lui qui avait juré de braver la Via. Lui qui avait fait le choix de devenir une ruine en acceptant ce priant. Lui qui était incapable de résoudre les problèmes autrement qu’en fracassant des crânes. Lui qui voulait constamment avoir le dernier mot et la rallier à sa cause sans prendre le temps de l’écouter. Lui qui n’avait pas assumé lorsqu’elle l’avait inciter à ce qu’ils s’enfuient tous les deux. C’était peut-être là le credo d’une égoïste, mais Ryme était bien trop en colère pour céder à une étincelle de bon sens venir éclairer son chemin.

— Pourquoi devrais-je toujours être celle qui le ramène à la raison ? Pourquoi ne pourrais-je pas être celle qui se laisse aller à ses émotions ?

Sa voix siffla comme la morsure d’un fouet. Garan baissa le regard, presque coupable. Beaucoup de gens comptaient souvent sur Ryme pour réprimer les pulsions de Cillian, sans pour autant que quiconque s’interrogeât sur la santé mentale de la jeune femme. Le point de rupture était proche.

— Avec ou sans votre aide, avec ou sans votre bénédiction, j’irais.

La dernière once de douceur qui subsistait dans le regard de Ryme s’évapora. L’Invokeure se tourna vers un des multiples corridors et s’apprêta à s’avancer dans l’une d’elles. Le hoquet de Garan la retint.

— Ryme, Cil… Il…

— Peu m’importe.

Les ténèbres de la galerie se refermèrent sur elle.

L’obscurité dans les galeries semblait vivante. Elle rampait sur la peau de Ryme, la frôlait, la léchait comme si elle voulait s’attacher à l’Invokeure. Les griffes de la noirceur n’arrivaient pourtant pas à avoir prise sur elle, tant leur victime était en colère. Jamais encore elle n’avait connu pareil sentiment, aussi puissant, fort et destructeur. Dans sa poitrine, son cœur se tordait d’une douleur sourde qui n’attendait qu’une seule chose : laisser exploser toute son ire ou bien que l’on apaisa les tourments qui provoquaient ce poison. Des larmes nappaient le visage de l’ancienne Voix qui tournait au hasard dans les méandres du dédale. Elle ne suivait que son instinct le plus pur et uniquement cette clarté délétère. Ses pieds étaient portés par la vélocité d’un sortilège et son bâton lui procurait la lumière nécessaire pour avancer.

« Viens à moi… Ryme, viens. »
Ses jambes se stoppèrent tandis qu’un frisson lui dévorait l’épiderme. Avec la force frénétique du désespoir, Ryme chercha d’où pouvait provenir la voix. Des monstres pouvaient rôder, après tout, en chemin elle avait croisé de multiples squelettes de formes humaines. Les furolucioles corrompues des morts ne faisaient jamais bon ménage avec les intrus de passages. La cicatrice à sa jambe se mit à agiter sa chair, l’animant de tressautements vicieux. Aussitôt, elle plaqua sa main contre l’ancienne blessure. La peau semblait brûlante sous sa paume glacée par la colère. Elle poussa un soupir qu’elle ravala sur-le-champ lorsqu’elle entendit l’écho distant de la voix de Garan.
Ses entrailles se serrèrent dans son corps. Le sommeil dans lequel Cillian avait été plongé était artificiel, il aurait donc pu venir. Mais il avait probablement fait le choix de s’abstenir. Leur relation était-elle aussi brisée que cela ?

« Ryme… Je suis là… Tout près… »
Cette fois-ci, le frisson qui la traversa se mua en haut-le-cœur. La bile amère lui remontait le long de la gorge, venimeuse. L’Invokeure réprima ce sentiment de peur profonde qui le transperça et se remit en route. Là, où, naguère le sol avait été sans doute pavé et les murs décorés, les racines avaient gagnés la bataille. Les chemins se déformaient sous la poigne de la végétation. Ryme n’était pas grande et le voyage avait aminci sa silhouette déjà frêle, lui offrant la possibilité de se glisser dans des endroits que Garan ne pourrait atteindre. Une nappe de ressentiment commença à se former à l’égare de son Gardien : ne lui faisait-il pas confiance pour conquérir la mystérieuse chimère ? Cillian avait peut-être perdu une partie de sa raison en affrontant la créature sans préparation, mais elle était devenue une invokeure depuis de nombreux mois. Elle n’avait plus peur de ce genre de défis.
Plus d’une année s’était écoulée depuis sa réussite dans la mainmise de son indépendance. Sa quête, d’abord presque puérile avait évolué vers quelque chose de plus en plus personnelle. Sin était passé au second plan. La bête ne semblant pas vouloir punir quiconque sur Spira, se faisant discrète depuis les évènements de Kilika. Il avait été facile de presque oublier le fléau pour se concentrer sur la gangrène de l’église.

Une furoluciole offrit ses lueurs éthérées aux ténèbres, dansantes dans un couloir. Son chant mélancolique apaisa pendant quelques instants le cœur de Ryme. Une autre volute se mêla à la première, attisant la curiosité de la jeune femme qui décida de suivre cette piste étrange.
La fatigue gagna l’Invokeure à mesure que son sortilège de célérité commençait à s’évanouir. Ses jambes la portèrent jusqu’à une alcôve ronde, creusée dans la roche. Les vestiges d’une porte étaient éparpillés sur la terre. La chambre d’un Priant. Ryme pouvait reconnaître entre mille les décorations sur les murs, les vases antiques dans lesquels des fleurs étaient usuellement déposées en offrandes. Les mosaïques sur le sol étaient encore intactes à certains endroits. L’air de la salle était toujours empli de la saveur de la mana. La gorge de l’Invokeure se serra alors qu’elle avançait un peu plus dans le cœur de la pièce. Quoi qu’il fût, quoi qu’il lui en coutât, elle était prête et résolue à faire un pas vers la folie si cela lui permettait de gagner la puissance de vaincre Vilhatt.

— Je suis là, montrez-vous !

La voix de Ryme se perdit dans un écho mat. Le silence lui répondit alors qu’un courant d’air agita la poussière qui gisait sur le sol. Une furoluciole chanta au fond de la salle vers l’endroit où, en toute logique, se trouvait la stèle du Priant. La gorge de la jeune femme se noua tandis qu’elle fit un nouveau pas en avant.
La silhouette translucide d’un dos qu’elle ne connaissait que trop bien se dessina sous ses yeux.

— Mère ?

Le fantôme tourna légèrement la tête avant de se remettre en marche. L’esprit totalement vide, Ryme se lança à sa poursuite jusque dans l’arrière-salle. Les vestiges d’une antique pierre d’invocation étaient là. Mais son cristal était brisé. Des barrières magiques entouraient le cratère. Le priant avait été déplacé. Submergée par ses émotions, Ryme tomba à genoux et se mit à pleurer. Des larmes de rages, de colère et de désespoir à la saveur acide. Si la créature qui dévorait la psyché de Cillian avait été séant, elle avait disparu depuis longtemps à présent.

— Tu devrais abandonné, on ne sait même pas si…

Ryme leva le nez. Face à elle, deux fantômes qu’elle ne connaissait que trop bien discutaient autour de la stèle. Sa mère et son père.

— Je peux le faire. Je sais que je peux le faire. Et après…
— Et après quoi ? On continue notre voyage. Tu meurs. Et je retourne garder de la gamine chez nous à Kilika comme si de rien n’était ?
— Elle a besoin d’au moins l’un de nous. Ça fait longtemps qu’elle est seule à Luca. On le doit bien à ta sœur. On lui a promis de s’occuper de sa gosse.
— Attention !

Une ombre avala les deux visions du passé.
La silhouette de Garan s’avança alors. Ryme posa son regard sur lui, les yeux emplis d’un voile de pure tristesse.

— Le priant était là, murmura-t-elle d’une voix ténue.
— Ishmael a dit qu’il l’avait déplacé après que Cillian ait…
— Je vois.
— Cillian est réveillé. Ishmael veut… Discuté.
— Je ne sais pas si je peux le voir. Si je veux le voir.
— Tu n’es pas obligée de…
— Si. Et tu le sais bien.

Ryme poussa un profond soupir avant de se relever. Elle attrapa le bras que son Gardien lui tendait. Son cœur semblait un peu plus vide dans sa poitrine.

— Allons-y.