Ryme
Invokeure
Il étaya son point de vue quant à la mission qu’il s’était fixée. Ryme ne pouvait qu’être disposé à entendre les propos énoncés. En ce moment même, une autre gamine devait sans doute trembler d’angoisse sous les griffes d’un prêtre corrompu. Elle ferma les yeux, tentant de faire refluer la peur et l’inconfort qui la gagnait. Cillian continua subséquemment, déclamant qu’à défaut d’approuver les raisons qu’elle lui avait données, il comprenait. Mais cela était vraisemblablement très loin de suffire pour que la colère qu’il éprouva à son égard se dissipe un jour. Ce n’était qu’un maigre tribu à payer si l’envie moribonde se jeter dans la gueule du loup l’avait quitté. Tant pis si elle ne pouvait plus jamais claironner avec les joues rosies par l’émoi qu’il était sien. S’il était vivant, cela lui était amplement satisfaisant.
Cependant, la suite de son discours ne saurait trouver grâce aux yeux de Ryme. La chimère qu’il portait était différente de ses semblables et il n’en avait pas conscience. La voix sinistre et grinçante du squelette lui revint en mémoire. Pour complaire à Cillian, la bête semblait prête à accomplir bien des exactions. Tandis qu’elle sentit le regard de son ami remonter sur elle, l’Invokeure, elle baissa le nez. Il proposa une évidence si simple, mais si difficile pour eux avant de lui tendre la main et de formuler une promesse. Plus que tout, c’était peut-être ces mots qui lui furent la chose la plus précieuse à cet instant. Enfin, elle ne l’entendait plus abandonner sa vie pour la sienne. Peut-être que le désir de vivre lui était revenu.
Ryme répondit à son sourire en plaçant sa paume dans la sienne. Ses doigts semblaient presque brûlants à côté des siens qui étaient gelés. Elle sortit de l’eau et s’autorisa à apprécier leur simple proximité.
— J’espère que tu tiendras parole, souffla-t-elle presque taquine.
— Et ne t’en fais donc pas pour Garan ou Gordias. S’ils étaient inquiets, penses-tu qu’ils seraient déjà là. Ou caché dans un fourré pour nous espionner. Ne le répète pas, mais ce bon vieux Gordias est un peu Gardien poule quand il veut.
Ryme laissa doucement glisser ses doigts de la main de Cillian, à regret. L’amertume et la tristesse tentèrent de venir se loger sur son visage, mais elle maintint son sourire en place. Le revoir était une si belle chose, mais si douloureuse.
— Lorsque tu te sentiras mieux et si tu en as envie, je pourrais t’aider à canaliser ton énergie pour invoquer. Cela sera dommage que tu sois toujours aussi épuisé. Je crois que Gordias et Garan se feraient un tour de rein s’ils devaient te porter.
Par réflexe, elle avait posé sa main sur son torse et s’était approchée de lui. Un rire léger quitta ses lèvres en imaginant les deux mages tenter de soutenir le guerrier. Cillian était bien plus grand que son frère, plus massif également. Lorsque Ryme réalisa son geste, elle se dégagea presque aussitôt, l’embarras lui zébrant le visage.
— Pardon, tu ne veux sans doute pas que je te touche.
La salive de Ryme eut du mal à descendre le long de sa gorge. Ses lippes se pincèrent légèrement, déçue d’elle-même et de sa faiblesse. Dans le cœur, elle n’avait qu’une envie : celle de sentir ses mains se poser sur elle, de sentir ses lèvres contre les siennes, de sentir son étreinte se refermer sur elle. Ainsi dévorée par la chaleur de son corps, de son odeur et de son aura aussi destructrice que rassurante, rien d’autre n’aurait de l’importance.
— Nous devrions retourner au camp. Le temps doit probablement leur sembler long. Et tu dois être épuisé, dit-elle en se détournant du lac.
Un petit silence retomba. Malgré ses paroles, Ryme ne commença pas à marcher.
— Tu sais, je crois que tu te devrais te méfier de ta chimère. Je ne doute pas de toi, tu es sans doute un des guerriers les plus aguerris de tout Spira. Mais même ton maître paraît redouter cette créature. Et m’est d’avis qu’Ishamel ou Abraham, peut importe son nom, ne craint que peu de choses en ce monde.
L’homme était difficile à cerner, mais la peur, Ryme connaissait ces affres par cœur. À différent degré. Et c’est bel et bien ce sentiment qui semblait motiver le sombre épéiste. Ça et la transmission de son art.
— La chimère… Elle n’a pas pu entièrement être invoquée et pourtant, elle avait une telle prise sur la réalité. C’était… Je crois que je n’ai jamais vu ça. Et je remercie Yevon qu’elle n’ait pas été complète. Elle semble vouloir te plaire à tout prix, concrétiser tes désirs.
Ryme hésita pendant quelques instants. Mais, il était sans doute raisonnable de le dire pour qu’il comprenne que la chimère n’était pas une chose à prendre à la légère.
— Je ne peux m’empêcher de croire que je mérite quelconque rétribution pour tout le mal que j’ai pu te causer. Et elle semble on ne peut plus d’accord. Je l’ai entendu comme je t’entends : d’une facilité déconcertante, elle a affirmé qu’elle n’aurait pas hésité à nous tuer tous, sauf Gordias pour toi. Parce que nous t’avions fait du tort.
La jeune femme se rassembla un peu sur elle-même, la mine basse. Devait-elle s’excuser ? Dire quelque chose ? Faire quelque chose ? La situation lui était aussi douloureuse qu’étrange.