Ryme
Invokeure
— Je pense que si tu es… Satisfait, je le suis également. Après tout… Mon but n’est que de te rendre le plus heureux possible. De te donner les armes et la force de prendre ce que tu désires.
Le feulement désagréable de la voix sembla se faire plus doux et caressant à cette déclaration. La poupée de chiffon à présent droite sur ses pieds de coton fit quelques pas, joignant maladroitement la chimère. Un ricanement muet s’invita dans la gorge de la bête.
— Quant à mes appétences… N’essaie pas de les appeler. Tu pourrais amèrement le regretter. À l’époque de notre contrat, bien sûr, elles ne te semblaient pas être un fardeau. Aujourd’hui, les choses pourraient être bien différentes.
Le souvenir de l’odeur du sang inonda sa mâchoire squelettique d’une couche de salive corrosive. D’amples gouttes s’abattirent sur le sable blanc, formant de larges taches sombres sur le sol. Loin de s’en inquiéter, la poupée s’en approcha et y déposa ses petites jambes. Le tissu s’imbiba d’ombres. Une raideur soudaine stressa le jouet qui tomba à terre.
— Mais je connais les tiennes, de préférences. La soif qui gît dans ta gorge et qui ne semble ne pas avoir la moindre fin. Et tu sais ce que tu es. Tu ne veux juste pas te l’avouer.
Un rire sec agita la carcasse de la chimère, aussi violente et brutale qu’une quinte de toux de la part d’un malade aux poumons miteux.
— Tu essaies de renier qui tu es. Et c’est cela qui dérange le plus notre pacte, vois-tu. Embrasse la noirceur qui vit dans ton cœur. Deviens mon champion. Accepte moi, tout entier. Et je te promets que plus aucune personne ne pourra être frappée du sceau de l’injustice sur cette maudite terre qu’est Spira…
Théâtralement, la créature déploya ses bras. La cape qui l’entourait jusqu’alors vola, dévoilant le bas de son corps : un amas de chairs putrides, d’organes mal-formés et de visages qui semblaient fondre. La peau se perdait sur son abdomen avant de disparaître au profit de sa silhouette d’écorché pour finalement se terminer par ce visage d’os inhumain. Deux cornes ornées de pampilles partaient du sommet de sa tête et suivaient élégamment sa posture. Le sceau de l’église maculait son front, gravé à même l’os.
Autour d’eux, le monde changea et devint blanc. Le ciel, la terre, la végétation fictive, la mer. Tout n’était que cette nuance immaculée propre aux ossements fraîchement bouillis. Et puis, il y avait la poupée qui à présent était un parfait reflet de Cillian. De sa taille jusqu’à ses vêtements ou les quelques mèches folles qui venaient se placer devant son cache-œil. La pigmentation de sa peau, ode à la nuit, faisait office de différence entre les deux copies. L’illusion enleva le bandeau qui masquait la mutilation qu’il portait au visage. La plaie béante semblait vivante, sa chair remuant comme si le voile de l’épiderme accueillait des parasites. S’esquissant dans une couleur rouge proche du sang, la pupille fixa son adversaire et l’iris orangé se précisa.
Sans plus de palabre, l’ombre se saisit de l’épée qui était dans son dos et attaqua. Dans son coup, toute la pesanteur d’une haine féroce, toute la hargne d’un cœur meurtri et toute la beauté d’une rage primaire, s’exprimaient. La lame frappa et frappa, encore et encore, sans relâche. Un grognement rauque s’extirpa de sa gorge. Hadès claqua des doigts dans un grincement sensible et aussitôt, la poupée faite ombre revint à sa place.
— Il est ce que tu rejettes. Ce dont tu as peur. Il est celui qui t’a permis de sortir vivant de la Via. Accepte-le… Non… Soumets-le. Et je te donnerais tout.
La chimère marqua une pause.
— Mais… sache qui que soit le vainqueur, il sera le porteur de mon pouvoir. Toi. Lui. Cela ne fait que peut d’importance pour moi. Ton Ombre a des prédispositions pour des méthodes qui me réjouissent. Un modus operandi que j’espère contagieux.
Un rire, toujours aussi désagréable et qui, au lieu d’être plein d’une émotion joyeuse semblait être uniquement composé d’un vide cruel.
— J’ai même un petit jeu à te proposer… Enfin, tu n’es pas libre d’accepter. Après tout, nous sommes dans mon monde. Dans la part de toi qui a abandonné.
La créature s’approcha de l’ombre et d’un ses ongles entailla la peau noircie. Un sang violacé coula de la plaie sans qu’il n’émît le moindre son. Cependant, dans cet univers vacant, le rire d’un enfant perça suivit de près par celui d’une petite fille et d’un autre petit garçon. La sensation étrange d’un foyer aimant, d’un jeu dans les vagues de Besaid se déversa dans le vide, l’habillant d’un rayon de soleil inattendu. Hadès esquissa un rictus presque écoeuré avant de reprendre la parole, cultivant son attitude thaumaturgique :
— Pour chaque blessure que tu lui infligeras, un souvenir heureux te sera rendu. Ou rappeler. Cela peut-être un rien, comme cette journée d’école buissonnière avec ta fratrie… Ou quelque chose de plus intime, plus important, plus savoureux, si tu le frappes assez fort. Cependant… !
Une pause, savamment calculée pour que les enjeux soient pleinement exposés.
— Pour chaque blessure qu’il t’inflige, un souvenir douloureux te sera rendu selon les mêmes lois.
D’un regard, Hadès créa une légère estafilade sur la joue de Cillian. Aussitôt, le rire de Jienne et Garan s’estompa au profit de la grosse voix du père de famille, réprimanda son cadet pour ne pas avoir été gentil avec Marnie, la petite fille du chef du village.
— Je te conseillerais de ne pas trop prendre de coups… s’amusa la chimère avant d'ordonner le début du combat d'un souffle, vas-y.
L’ombre attrapa le manche de la lame et d’un bond, fondit sur son adversaire.