Akemi
Invokeure
Quand le jeune homme s’arrêta enfin à l’abord d’une falaise, Akemi ne put s’empêcher de trouver le paysage magnifique, malgré la situation. L’herbe verte donnait du relief à la ville de Luca qui ne lui avait jamais semblée aussi splendide qu’en cet instant. La mer en fond, contrastait avec les pierres blanches de la ville et l’herbe verte du premier plan. Ce paysage n’aurait pu être mieux représenté qu’en cet instant présent. Même une peinture n’aurait pu lui rendre grâce.
Constatant que le jeune homme s’était assis pour se recroqueviller contre lui-même, Akemi en fit de même, s’installant tranquillement sur le sol encore chaud de par les rayons du soleil. Ses jambes s’étaient rapprochées de son buste, ses mains entourant celle-ci comme pour mieux se tenir à cette position. Pendant un long moment, le silence fut de mise, ne laissant que le chant de la nature s’exprimer au gré du vent. Puis après s’était allongée sur le dos, Seiji s’exprima enfin. Je n’aurais pas dû tout te mettre sur le dos. À ses mots, Akemi se tourna légèrement vers lui, écoutant plus en détail ce qu’il avait à lui dire, sans le couper, sans intervenir, décidant que cette fois… Elle le laisserait s’exprimer à son aise. Il avait besoin de parler, d’être écouté, alors c’est ce qu’elle ferait sans sourciller. Se confiant sur ce qu’il ressentait au plus profond de lui : l’état d’Akemi, ses craintes la concernant, sa peur de la perdre à cause des événements. À ses paroles, la demoiselle ne put s’empêcher de ressentir un profond sentiment de culpabilité. Si elle n’était pas ce qu’elle était, jamais le jeune homme aurait eu à s’inquiéter autant, et si elle n’avait pas pris la décision du pèlerinage, sûrement qu’il serait moins réticent à la laisser découvrir une partie de son passé. Soupirant intérieurement à cause de ses pensées, la jeune femme s’allongea à son tour, ses yeux noisette admiraient le ciel et ses nuages cotonneux, tandis que son ouïe, continuait d’écouter la confession de son amant. Il n’arrivait pas à passer le cap du deuil, se tenant pour responsable concernant la mort de sa mère. Il n’avait pu la protéger, et maintenant, il prenait conscience qu’il ne pourrait pas toujours protéger la demoiselle à ses côtés. Il se sentait impuissant, désarçonné face aux événements qu’il lui faisait face. Incapable d’affronter les aléas de la vie qui continuerait à lui faire barrage. Et pourtant…
Cherchant timidement la main du jeune homme de la sienne, Akemi attrapa avec douceur et attention cette main qu’elle avait toujours admiré. Élevant celle-ci vers elle, elle resta un moment à la regarder sous tous les angles, caressant les coupures et les cicatrices qui pouvaient se trouver sous la pulpe de ses doigts. « Je comprends. » Son visage était neutre, mais son regard semblait étrangement serein. Intérieurement, elle comprenait pourquoi Seiji ressentait tout cela, pourquoi il se mettait une telle pression sur les épaules et qu’elle en était la cause. Inspirant légèrement, Akemi détailla finement les lignes de sa main, son regard ne se détournant aucunement de cette main. « Je suis désolée… Je me rends compte à présent que je t’en ai toujours trop demandé… » Puis attrapant le creux de ses doigts avec les siens, la jeune femme serra doucement celle-ci dans la sienne, remarquant à qu’elle point sa main était bien petite. « Tu as toujours dû t’occuper de moi, me voir avancer vers des décisions que tu n’approuvais pas sans pouvoir faire quoique ce soit… Tu devais me protéger parce que je n’en étais pas capable, où plutôt… Parce que je t’ai toujours vu comme un héros. Mon héros. » Puis relâchant sa main, la jeune femme se détourna de celle-ci pour regarder de nouveau le ciel, ses yeux, suivant les nuages qui se déplaçait avec lenteur vers le lointain. « Tu as toujours eu cette pression, et je n’ai jamais rien fait pour t’en soulager, pire même… Je t’en ai toujours rajouté plus… Je n’aurais pas dû te cacher mon état aussi longtemps, je n’aurais pas dû t’annoncer cela à ce moment, quand tu étais au plus bas… Au lieu de t’aider à panser ta plaie, je n’ai fait que l’agrandir, te donnant plus d’incertitude et d’inquiétude encore… » Le picotement de ses yeux rendait sa voix moins confiante, plus nouée, mais son poing serrait, lui permettait de tenir. « J’ai été égoïste et je n’ai fait que penser à moi… Je suis désolée d’être une personne aussi nulle. » Elle ne cherchait pas à être réconfortée, ni à ce que le jeune homme lui donne tort, elle n’énonçait là qu’une vérité de plus sur sa personne. Soupirant, tout en fermant les yeux, la jolie brune laissa le flot d’émotion lui passer, pour enfin reprendre avec plus de ferveur. « J’ai toujours vécu avec cette peur de mourir à n’importe quel moment. Surtout depuis que j’avais entendu un docteur dire que je ne survivrais pas à cause de ma condition. Je ne devais pas dépasser les neufs ans, puis douze, puis après les quatorze, après les seize, les dix-huits, pour ensuite entendre dire que ma prochaine crise me serait fatale… » Peut-être était-il temps de clarifier les choses sur cela, d’enfin se libérer de tout ce qu’elle ressentait depuis tout ce temps. « Puis à force de faire attention, de prendre la moindre précaution pour que rien ne m’arrive, j’ai fini par prendre conscience que… Ma vie n’avait plus rien de normal… Mon père était toujours plus inquiet, ma mère me regardait toujours avec cet air triste. Rien ne changeait, ça avait même empiré. J’ai voulu reprendre le contrôle, rendre ma vie plus normale en faisant comme tout le monde… Mais… Dans l’esprit de mes parents, c’était trop tard. Mais, Je ne leur en veux pas… Je suis leur unique fille et… J’ai laissé faire, donc je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. »
Laissant de nouveau un silence perdurer, Akemi relâcha de nouveau un soupir, ses mains se posant alors contre son ventre. « C’est peut-être pour ça que je veux prouver que je peux être forte, que l’on peut compter sur moi… Tout simplement parce que je n’ai jamais pu faire mes preuves… Je n'ai toujours fait que compté sur les autres… Et surtout sur toi… Tu as toujours été le centre de mon univers et… Je me rends compte que cela était une erreur. Je n’aurais pas dû te mettre autant de pression sur les épaules, te rendre responsable de tout… J’ai toujours pensé que j’étais un poids pour toi, j’en étais même à pensée que si tu étais parti, c’était pour ne plus me supporter… » Sentant une boule se former dans sa gorge, Akemi eut des difficultés à ravaler sa salive, son corps se relevant alors avec douceur, comme si cela lui était trop dure de rester allongée. « Je ne veux plus continuer ainsi, je ne veux plus que tu aies peur de me perdre… Je ne veux plus me reposer autant sur toi. » Puis se tournant alors vers Seiji pour l’affronter, l’invokeure resta un moment à se mordiller la lèvre, avant de reprendre avec plus de détermination. « Oui… Je peux mourir n’importe quand, mais je ne veux pas que cela soit une entrave, que ça nous empêche de vivre, de profiter des moments présents. Je ne veux pas que cela nous empoisonne. Je veux… Je veux que tu me voies tel que je suis, et pas cette part malade qui ne cesse de nous hanter. Je veux imaginer un avenir avec toi, profiter de chaque instant comme le fait n’importe qui d’autres. Nous ne sommes pas éternels… Après tout, tu n’es pas malade, mais toi aussi, tu peux mourir n’importe quand Seiji… Que ça soit au combat, ici sur cette falaise ou que sais-je encore. » Sentant des larmes rouler sur ses joues malgré elle, Akemi éleva aussitôt le dos de sa main vers ses yeux, essuyant aussitôt ses larmes comme pour les effacer de son visage. Relevant son visage celui-ci se fit cette fois plus autoritaire, comme pour faire prendre conscience au jeune homme, qu’il n’était pas quelqu’un d’inutile. « Je ne devrais pas parler à sa place, mais si ta mère était là… Elle te botterait le cul, comme elle aimait si bien le dire… » Sentant un sourire remonter malgré elle, Akemi attrapa de nouveau la main de Seiji, de façon à dévier son regard du sien plus naturellement. « Tu ne peux pas protéger tout le monde, parce que tu n’es pas un surhomme. Mais tu as le pouvoir et la force de tenir une épée, de la dresser contre ceux qui le mérite et qui menace la vie des autres… de ceux qui te sont chers Ta mère est morte en prenant conscience de ce qui pourrait lui arriver, avec cette volonté de vouloir protéger cette ville qui lui était chère à son cœur. Parce qu’elle pouvait et voulait le faire. Que penses-tu qu’elle penserait à te voir ainsi, à voir que tu n’arrives plus à tenir ton épée parce que tu juges que tu n’as pas pu la protéger ? »
Restant un moment silencieux pour laisser le temps à Seiji de méditer sur ses paroles, la jeune femme se mit permis d’enjamber son amant, son corps se collant contre le sien pour le serrer doucement contre elle, comme pour le réconforter. « Elle n’aurait pas voulu que tu te sacrifies pour elle, elle t’aurait sûrement grondée pour que tu ailles défendre un autre endroit de la ville. Elle ne t’a jamais rien reprochée, Et même si elle ne le montrait pas… Elle à toujours approuvé tes choix. Parce qu’elle t’avait acceptée et qu’elle aimait le fils que tu étais devenu. Même si parfois, je t’avoue, elle te définissait comme ingrat. » Riant légèrement face à cette définition, Akemi tenta de croiser le regard de son amant, pour lui offrir le sourire le plus doux, qu’il lui était possible de faire.« Elle t’aimait, et je pense qu’aujourd’hui… Elle voudrait que tu te relèves et que t’aille prendre ta revanche sur Harken. Tu n'as pas appris la voie de l'épée, pour ne pas l'utiliser. » Elle espérait que ses paroles, l’avaient apaisé, réconfortée, mais surtout qu’ils avaient effacé quelqu’un de ses doutes. Elle ne pouvait pas panser toutes ses plaies, mais elle pouvait au moins le soulager, ne serait-ce que pour l’aider à guérir un peu plus face à cette épreuve.